CinémaDrameGuerre

La Ballade du soldat – Grigori Tchoukraï

balladedusoldat

Баллада о солдате. 1959

Origine : U.R.S.S. 
Genre : Drame romantique d’après-guerre 
Réalisation : Grigori Tchoukraï 
Avec : Vladimir Ivashov, Janna Prokhorenko, Antonina Maksimova, Nikolaï Krioutchkov…

Aliocha Svortzov, jeune soldat soviétique de dix-neuf ans, est poursuivi par des tanks ennemis. Saisi par la panique, il jette au hasard une grenade, détruisant du même coup deux blindés. Cette action d’éclat lui vaut une permission de quatre jours, qu’il met à profit pour aller embrasser sa mère. Au cours de son voyage, il fait la connaissance d’un autre soldat qui a perdu une jambe à la guerre et qui redoute le moment où il retrouvera sa femme, d’autant que leur mariage n’était déjà pas très heureux. Aliocha lui tient compagnie à la gare. Il assiste aux bouleversantes retrouvailles des deux époux et rate son train ! Faisant un détour pour porter du savon à la femme d’un camarade de combat, il découvre qu’elle vit avec un autre homme. Refusant d’écouter ses explications, Aliocha s’en va, remportant son savon. Pour rattraper le temps perdu, il soudoie un employé pour pouvoir monter dans un train de marchandises. C’est là qu’il rencontre Choura, avec laquelle il vit une idylle sans espoir de lendemain, puis ils se séparent mélancoliquement. Après avoir sauvé une famille bloquée dans un train bombardé, Alexis retrouve enfin sa mère. Mais il doit déjà repartir au front…

Quinze ans se sont écoulés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiales lorsque Grigori Tchoukraï tourne La Ballade du soldat. Quinze années au cours desquelles la représentation de la guerre sur les écrans russes a considérablement évoluée : à sa vision purement héroïque des films dictés par la propagande stalinienne a succédé peu à peu une approche plus individuelle et plus sentimentale, qui laisse place à l’émotion, voire à l’humour. Plus rarement, l’éthique même de la guerre est plus ou moins remise en question.
Toutefois, la dictature stalinienne a longtemps retardé cette évolution naturelle en exerçant une censure impitoyable sur tous les projets de scénarios, à tel point qu’au début des années 50, la production se trouvait pratiquement paralysée.
A la mort de Staline, en mars 1953, le “dégel” politique s’étend à tous les domaines de la vie culturelle, et tout particulièrement au cinéma : les vétérans du septième art proposent à nouveau les projets qui n’ont pu aboutir, et les jeunes réalisateurs, frais émoulus de la V.G.I.K. (l’école de cinéma de Moscou), sont ardents de faire leurs preuves. Un souffle d’air frais va ainsi irriguer l’ensemble du cinéma soviétique, qui cherchera alors à aborder de manière plus originale tous les genres, y compris le film de guerre.

Grigori Tchoukraï fait partie de ces brillantes jeunes recrues de la V.G.I.K., où il a appris son métier avec des maîtres aussi prestigieux que Serge Youtkevich et Mikhail Romm. En 1956, il s’impose avec éclat dès son premier film, Le Quarante et unième (Sorok pervyi), qui remporte le prix spécial du jury au Festival de Cannes. Par rapport à la première version muette de Protazanov (de 1927), qui évoque le drame cornélien d’une jeune partisane déchirée entre le devoir et l’amour, son héroïne apparaît étonnamment moderne : sûre d’elle, elle ne se pose guère de problèmes de conscience quant aux erreurs politiques de celui qu’elle a choisi comme amant ; disposant librement de son corps, c’est tout aussi naturellement qu’elle abattra le jeune homme prêt à la trahir et décidément “irrécupérable”.
L’année suivante, Mikhail Kalatozov va balayer audacieusement d’autres tabous dans Quand passent les cigognes (Lietat Jouravlyi, 1957), où il ne craint pas de montrer des exemples de lâcheté, de corruption et même de désertion. Il est désormais possible, en Union soviétique d’évoquer les tragédies individuelles liées à la guerre. C’est ce que va faire Tchoukraï, dans un style plus élégiaque que Kalatozov, avec La Ballade du soldat.

La Ballade du soldat (dont les extérieurs seront tournés près de Vladimir, à quelque 200 km au nord-est de Moscou) s’ouvre par une séquence fort impressionnante et tout à fait remarquable sur le plan technique : le jeune soldat Aliocha, qui combat en première ligne, est poursuivi par des Panzers. Ce sera aussi la seule scène de bataille de tout le film, qui s’ordonne dès lors autour des tribulations d’Aliocha pendant sa trop brève permission, en montrant essentiellement les conséquences douloureuses de la guerre dans la vie quotidienne.
Aliocha n’a pas au départ une vocation de héros. C’est malgré lui que ce paysan russe a été jeté dans la tourmente de la guerre et lorsqu’il se signale par sa conduite glorieuse, à la médaille qu’on lui propose, il préférera une permission, pour pouvoir revoir sa mère et réparer le toit de la maison familiale. Durant son périple mouvementé à travers un pays dévasté par la guerre, il sera le témoin de bien des tragédies, de menus drames quotidiens, il rencontrera des dévouements admirables et des reniements atroces. Il vivra même un amour aussi sincère que sans espoir, conservant jusqu’au bout une sorte de fraîcheur et d’innocence naïve qui rappellent plus les personnages des vieilles légendes russes traditionnelles que ceux des épopées guerrières.

Cet accent inimitable de vérité, qui marque l’odyssée d’Aliocha, Tchoukraï l’a tiré de ses proches expériences (il a été parachutiste pendant la guerre et a été blessé cinq fois), de même qu’il a utilisé les souvenirs de son co-scénariste Valentin Ejov, qui avait, lui, servi dans la marine. En juxtaposant tous ces épisodes, émouvants, dramatiques, cocasses, décrits avec une grande minutie, le réalisateur nous offre une fresque vivante et poétique de la Russie quotidienne, en même temps qu’un saisissant condensé des malheurs de la guerre.
Les deux interprètes principaux possèdent toute la jeunesse et la fraîcheur nécessaires à leurs rôles ; Vladimir Ivatchev, choisi parmi plus de 70 candidats pour obtenir le rôle d’Aliocha, étudiait alors l’art dramatique à la V.G.I.K., tandis que Janna Prokhorenko, qui incarne Choura, était élève au Théâtre d’art de Moscou. Leur conviction et leur spontanéité apportent au film une touchante authenticité. Par la simplicité et la limpidité de son style, La Ballade du soldat séduira aussi bien le public soviétique que le public occidental.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.