CinémaPolar

L’Inspecteur Harry – Don Siegel

inspecteurharry

Dirty Harry. 1971

Origine : États-Unis 
Genre : Polar 
Réalisation : Don Siegel 
Avec : Clint Eastwood, Andrew Robinson, Reni Santoni, Harry Guardino…

Situation classique à Hollywood : un script approuvé par le studio (Warner en l’occurrence), mais des difficultés de développement qui, une fois résolues, ont modifié conséquemment ce que le film aurait dû être. L’Inspecteur Harry aurait donc dû s’appeler Dead Right, son réalisateur aurait dû être Irvin Kerschner et son acteur principal Frank Sinatra, le départ du second (blessé à une main) entraînant celui du premier. Ce ne sont pas les prétendants acteurs qui ont manqué puisque John Wayne, Robert Mitchum, Steve McQueen, Paul Newman et Marlon Brando furent un temps considérés, tout comme Sydney Pollack pour le poste de réalisateur. Mais c’est bien Clint Eastwood qui finit par empocher la mise, exigeant au passage que l’action du film soit déplacée de Seattle à San Francisco. A l’aide de Malpaso, sa société de production fraîchement créée, il parvint à se ménager un droit de regard conséquent sur le film, ce qui incita donc Don Siegel à le rejoindre pour une troisième collaboration, celle qui allait devenir la plus reconnue et qui allait ouvrir définitivement les portes de la renommée à Clint Eastwood.

Flic zélé et violent, l’inspecteur Harry Callahan dit “Dirty Harry” (Clint) est placé sur la piste du Scorpion (Andrew Robinson), un tueur choisissant ses victimes du haut des immeubles à l’aide d’un fusil sniper. Le psychopathe exige le versement d’une certaine somme d’argent, sans quoi il continuera à tuer. Une première intervention musclée de Callahan et de son nouveau collègue Chico (Reni Santoni) passe de peu à côté de l’arrestation du Scorpion. En représailles, celui-ci passe à la vitesse supérieure et kidnappe une adolescente. Dirty Harry va devoir s’accrocher pour la sortir de là vivante, surtout que ses méthodes expéditives n’ont pas l’aval de ses supérieurs.

Très peu de temps après un Flower Power en lequel ils n’ont pas dû croire beaucoup, Eastwood, Siegel et leurs scénaristes (dont John Milius, même si il n’est pas crédité) interpellent le public en mettant en avant les dangers nés de cette époque permissive. Eastwood n’a pas choisi San Francisco au hasard, ni même parce qu’il s’agit de “sa” ville. Ce fut le haut lieu de la communauté hippie, celui où pour reprendre les termes des Mamas and the Papas dans la chanson de Scott McKenzie il fallait “porter des fleurs dans les cheveux”. En 1971, cette époque était déjà révolue et San Francisco devint l’épicentre des meurtres du Zodiac, tueur vaguement mystique servant d’inspiration au Scorpion. Ce n’est plus la ville colorée et festive des jeunes libéraux : c’est une ville comme une autre, avec ses quartiers sordides, ses marginaux et ses tordus rendus d’autant plus dangereux qu’ils ont suivi le chemin de Charles Manson et de sa “famille”. Sans que cela ne soit clairement dit, Harry Callahan, dont la femme est morte sous les roues d’un ivrogne, a la lourde tâche de réparer les erreurs de cette jeunesse autrefois braillarde et qui désormais n’ose plus la ramener. Sa tâche est lourde, d’autant plus qu’il ne peut compter sur les pouvoirs publics, encroûtés dans une permissivité néfaste permettant aux cinglés de continuer leurs exactions en toute impunité. Particulièrement concerné par le sujet social que constitue le traitement réservé aux tueurs et “l’oubli” des victimes et de leurs proches, Eastwood ne se montre certainement pas sous son jour le plus progressiste, c’est évident. De toute façon, comment pourrait-il en être autrement avec un scénario dans lequel a trempé ce gros réactionnaire de John Milius ? Ceci dit, les accusations de fascisme sont comme dans 90% des cas largement exagérées et servent surtout de contre-propagande facile (“fascisme” est un gros mot qui fait peur) pour intellectuels gauchistes. Rappelons donc que le fascisme est avant tout un pouvoir politique, qui couvre autant des critères sécuritaires que des critères économiques, internationaux ou militaires. Pas plus dans L’Inspecteur Harry que dans Un justicier dans la ville (autre film taxé de “fasciste”) il n’est question de prise de pouvoir par des nationalistes en chemises noires. Avant-guerre, Frank Capra eut droit aux mêmes visions par le petit bout de la lorgnette et fut accusé de bolchévisme pour ses critiques à l’encontre des dirigeants américains dans Mr. Smith au Sénat. Les accusations de fascisme à l’encontre d’Eastwood et de Siegel ne font en réalité que tirer des conclusions hâtives sur une thématique qui pour sécuritaire qu’elle soit n’autorise pas à hurler au loup (de plus l’évolution de la carrière d’Eastwood permet de voir que l’homme est loin d’être un mussolinien en puissance).

En revanche il est indéniable que L’Inspecteur Harry constitue l’une des premières revanches prise par l’Amérique conservatrice sur les mouvements sociaux de la fin des années 60. Sans avoir recours aux injures politiques, la prise de position du film peut de toute façon être combattue sereinement du fait des méthodes utilisées pour la formuler. Siegel et Eastwood mettent l’accent sur un tueur particulièrement atroce, un dingue de la pire espèce (très bonne prestation de Andrew Robinson) s’en prenant à plusieurs reprises à des enfants. Le film est très cru, très sec, bien dans la mouvance cinématographique de cette décennie naissante, et si on peut légitimement penser que Callahan fait bien de s’affranchir des lois qui l’empêchent d’agir (voire le mettent hors la loi), il n’est pas interdit de réfléchir au-delà des images. Celles-ci suscitent l’émotion, la tristesse, la colère, la peur et il n’y a vraiment rien à redire sur ce point : le film de Siegel est un bon film. Rugueux, déterminé et énergique (il effectua ses propres cascades) Clint est parfait dans le rôle de Callahan et il incarne la vedette du bitume comme il incarnait la vedette du désert dans les westerns de Sergio Leone. Ses répliques sont d’ailleurs passées dans le domaine populaire, et la scène dans laquelle Callahan poursuit le Scorpion dans un stade est superbe et poignante. Mais justement, cette capacité à immerger le spectateur dans le film pour lui faire ressentir les mêmes émotions que les personnages est justement la chose qui provoque la faille du discours sécuritaire. Le rôle de la sécurité et de la justice (deux domaines dont Callahan s’auto investit) est justement de ne pas laisser les émotions prendre le dessus sur l’équité. Elles exigent d’avoir la tête froide et de ne pas se laisser entraîner à la vendetta, sous peine de voir la société verser dans une anarchie qui pour le coup serait encore bien pire. L’attitude intransigeante de Callahan est dépourvue de toute sérénité. L’inspecteur est humain, et il s’est laissé entraîner par ses propres émotions. Telle est la faille dans sa croisade sécuritaire et dans le propos du film. Celui-ci encourage à se laisser guider par ses émotions, au mépris des lois établies. Il le fait avec une certaine dose de manipulation en insistant bien lourdement sur l’atrocité des actes du Scorpion et sur la passivité des autorités (sans parler de la dédicace “aux policiers morts dans l’exercice de leur fonction”, qui ouvre le film), obligeant le spectateur à adopter le mode de pensée du personnage principal. Dans le même ordre d’idée, et certainement pour montrer que Callahan ne prend pas plus de plaisir que ça à dégainer son gros calibre, le film s’aménage aussi une dizaine de minutes sociales pendant lesquelles l’Inspecteur laisse filer un voleur pauvre, gracie une poignée de clochards qui l’avait tabassé en le prenant pour un voyeur et sauve un pauvre gus du suicide en usant d’une réthorique préventive particulière mais efficace (une scène d’ailleurs tournée par Clint lui-même, puisque Siegel était tombé malade). Un peu fortuites, ces séquences prennent l’apparence d’une caution morale en prouvant que Callahan sait lui aussi détecter la misère humaine. L’empathie est amenée de la même manière que la colère, mais le fait que ces scènes soient regroupées en tout début de film n’apparaît clairement que comme un gage d’humanité pour un personnage qui s’apprête à verser dans le sécuritaire en bousculant sa hiérarchie. Un peu comme si les scénaristes avaient tenté d’anticiper sur les futures critiques de gauche en montrant une autre facette du personnage. Un peu gros tout de même.

Excellent polar, tendu, inquiétant et mouvementé L’Inspecteur Harry est l’un de ces films qui aidèrent à définir le cinéma brutal des années 70. Même les films progressistes empruntèrent un peu à son penchant pour un style sec et dérangeant. Maintenant, il est vrai que son discours sécuritaire n’est pas forcément des plus reluisants. Si les réponses qu’il donne ne sont pas des plus appréciables, au moins a-t-il le mérite de soulever des questions avec lesquelles les progressistes ne sont pas très à l’aise. C’est d’ailleurs peut-être pour cela que l’étiquette fasciste, définitive et qui clôt immédiatement le débat (le fameux “point Godwin”), lui fut attribuée.

Une réflexion sur “L’Inspecteur Harry – Don Siegel

  • Yves

    Bonjour.
    Comme vous y allez avec des pincettes dans votre commentaire, presque en vous bouchant le nez !
    Pour ma part, ce film m’a fait un bien fou… outre le fait qu’il soit “techniquement” excellent : sec, nerveux, sans temps mort, avec une bande-son excitante (vous n’en faite pas mention).
    A l’image des dernières décisions de Trump contre le laisser-aller des pouvoirs publics dans la lutte contre le terrorisme : vous en rêviez, Harry l’a fait !

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