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L’Évadé d’Alcatraz – Don Siegel

evadedalcatraz

Escape from Alcatraz. 1979

Origine : États-Unis 
Genre : Thriller 
Réalisation : Don Siegel 
Avec : Clint Eastwood, Patrick McGoohan, Jack Thibeau, Fred Ward…

En mars 1963, après presque trente ans d’existence, le pénitencier d’Alcatraz est fermé sur ordre du procureur général Robert Kennedy. Sa gestion revenait beaucoup trop cher à l’État, et sa localisation en pleine mer, à deux kilomètres des côtes de San Francisco, entraînait des dégradations notables sur les installations. La meilleure preuve de cette dangereuse érosion était survenue l’année précédente, lorsque pour la première fois des prisonniers parvinrent à s’évader de ce qui était jusqu’ici considéré comme la prison la plus sûre, en creusant une ouverture dans leurs cellules à partir des trous d’aération. Peu de temps après l’évasion de Frank Morris et des deux frères Anglin, qui n’ont à ce jour jamais été retrouvés, un livre signé J. Campbell Bruce retraça l’historique des tentatives d’évasion d’Alcatraz. Le scénariste Richard Tuggle s’inspira de la partie consacrée à l’évasion de 1962 pour effectuer ses propres recherches complémentaires et rédiger un scénario qu’il proposa dans un premier temps à des agents, qui le jugèrent peu prometteur. C’est en envoyant directement son travail au réalisateur Don Siegel que Tuggle parvint à ses fins, avec comme cerise sur le gâteau la présence en tête d’affiche de Clint Eastwood, vieux camarade de Siegel avec lequel il s’associait là pour la dernière fois.

En tant que film basé sur des faits avérés, et Don Siegel étant un homme consciencieux, L’Évadé d’Alcatraz ne peut faire autrement que de coller au plus près de la réalité de l’époque. C’est à dire que le tournage fut effectué à Alcatraz même, qui après la fermeture de son pénitencier fut occupée pendant un peu moins de deux ans par des indiens revendiquant leurs droits sur l’île, puis ensuite convertie en site touristique national. Les visites ne s’interrompirent pas pendant le tournage, et ce fut même à Siegel et à son équipe de s’y adapter. L’industrie du tourisme ne put que se féliciter de voir l’île et son ex-pénitencier être mis en avant par le cinéma, puisqu’outre la publicité entraînée par la sortie du film, ce fut également l’occasion de profiter de la remise en état des bâtiments tels qu’ils étaient au début des années 60. Tout bénéf ! Voilà pour la petite histoire d’un film qui ironiquement traite du projet un peu fou de quatre hommes (seuls trois s’en évaderont) pour sortir à tout pris d’une des plus dures prisons d’Amérique. Construit logiquement, sans jamais sortir de son cadre réaliste, L’Évadé d’Alcatraz s’attarde tout d’abord sur les conditions de vie des détenus avant de pleinement se concentrer sur les projets d’évasion. Ainsi, le début du film constitue à la fois un angle documentaire destiné aux spectateurs et une phase d’observation chez le personnage principal, qui développe une sorte de rivalité personnelle avec le directeur de la prison (joué par Patrick McGoohan, qui en sa qualité d’ex-Prisonnier lui ayant laissé un regard toujours à l’affût fait merveille). Noté dans le dossier comme étant d’une intelligence supérieure, s’étant évadé de plusieurs prisons, Morris est forcément un défi pour le directeur, qui pour sa part croit en la toute-puissance d’Alcatraz. Mais ce duel se fait toujours dans la discrétion, les deux hommes ayant plutôt tendance à se regarder en chiens de faïence plutôt qu’à s’affronter directement. Ce qui va parfaitement à la retranscription du monde glacial de cette prison où tout est fait pour que les prisonniers soient esseulés et peinent à tisser des liens -fussent-ils de haine- en dehors de la cour de promenade. Ainsi, les conditions de vie de la prison semblent assez banales, loin des excès que l’on peut trouver dans le cinéma d’exploitation ou même dans certains films sensationnalistes. Le but n’est pas de choquer instinctivement mais de démontrer la rigueur difficilement supportable de la vie monacale imposée par le directeur. Le monde d’Alcatraz n’est pas une simple communauté de détenus vivant en vase-clos (façon New York 1997), mais bien une dictature où le directeur contrôle tout, avec pour conséquence de réduire l’humanité des détenus. Les clichés paraissent dès lors sous un jour sensiblement différent de celui qui les caractérise habituellement. Prenons par exemple le cas du caïd, qui cherche à imposer sa loi au nouveau venu et à le considérer comme sa “copine”. Un tel personnage est bien présent, il se fait vite rabrouer par Frank Morris et ne manque jamais l’occasion de revenir à la charge, mais il est loin de devenir un point d’intérêt majeur dans l’intrigue. Siegel adopte le point de vue de Morris, qui a bien compris que ce genre de conflit n’est d’aucun intérêt à Alcatraz, où personne ne peut sortir vainqueur. Conséquence, Morris ne donne aucune importance à ce type. Même chose pour les clans qui se sont formés en prison. Morris ne se soucie pas de savoir quelles sont les règles et prend des libertés pour considérer le leader des prisonniers noirs (au nombre desquels figure Danny Glover dans son premier rôle au cinéma) comme un détenu semblable à lui, et capable de l’aider, ce qui lui vaut d’être considéré avec égard par ledit leader, qui s’attendait soit à inspirer la crainte soit à être victime de racisme. Le sujet des droits civiques n’est pas abordé dans le film, mais il est sous-entendu par ce seul personnage. Chaque personnage dispose en fait de sa propre fixation pour vivre sa peine : l’un d’entre eux s’adonne à la peinture, un autre élève une souris, un autre est motivé par les droits civiques etc… La fixation de Frank Morris est tout simplement de trouver un moyen de s’évader. Dès le départ, il observe, il écoute, et s’arrange pour arriver à son objectif tout en respectant ceux des autres, dans lesquels il ne s’immisce pas. Chacun suit son chemin. Les trois complices de Morris en font autant. Il n’y a pas de place pour le sentiment, pour la compassion, et Siegel évite même de parler des raisons qui ont conduit ces hommes à Alcatraz. Cela aurait détourné le film de son véritable objectif, qui est bien la conception du projet d’évasion, seule perspective de son personnage principal. C’est ce repli sur soi-même (aboutissant également à une grande sécheresse de style) qui constitue la grande difficulté du projet d’évasion de Morris, qui pour réussir a besoin de l’aide de quelques co-détenus capables de lui fournir tel ou tel élément. Et c’est justement là que commence l’aspect “thriller” du film de Siegel.

Particulièrement habile, cette exposition permet de faire reposer l’exploit du plan d’évasion sur l’ingéniosité de Morris, et non sur son aspect spectaculaire. Nous sommes bien dans un thriller, non dans un film d’action, et l’évasion en elle-même n’est pas très mouvementée. Creuser un trou avec un coupe-ongle ou une cuillère, fabriquer une fausse tête pour berner les gardiens le jour J, concevoir un faux pan de mur pour dissimuler le trou, monter un radeau de fortune avec des imperméables, tout cela est rudimentaire. Par contre, réussir à mener ce plan à bien relève de la gageure. Non seulement il faut parvenir à rassembler tout le matériel nécessaire et à l’utiliser sans que les surveillants ne le remarquent, ce qui implique en plus que les “comploteurs” accordent leurs violons alors que tout est fait pour qu’il leur soit impossible de communiquer, mais en plus il faut que rien ne soit décelé lors des inspections et qu’aucun aléa ne perturbe le fil des évènements. Beaucoup de paramètres qui font que Morris travaille toujours sur la corde raide. La moindre parole échangée avec un co-détenu, le moindre geste de travers risque de faire définitivement capoter l’entreprise. Cette évasion, préparée dans une cellule minuscule, exige des nerfs d’acier afin de supporter la ronde des gardiens, les visites du directeur en cellule, les fouilles en sortant des ateliers de menuiserie etc… C’est ce qui coûtera son évasion au quatrième larron, incapable de gérer la pression. Siegel réussit à maintenir ce climat tendu jusqu’au final, s’aidant pour cela d’une remarquable gestion de la temporalité. Bien que cela soit sa seule entorse au réalisme, les quelques mois à travers lesquels se déroulent les préparatifs de l’évasion sont condensés pour que l’on ne puisse plus se repérer. Ainsi, l’ensemble n’a l’air de prendre que quelques jours. Cette situation temporelle met en avant la perte des repère des détenus, pour lesquels les jours se suivent et se ressemblent, et souligne également le travail d’orfèvre nécessaire à l’évasion. La patience doit donc s’ajouter au sang froid de Morris et des trois autres. Modèle de suspense jouant avec les nerfs de ses spectateurs, qui malgré la connaissance préalable du dénouement ne peuvent que rester scotchés devant leur écran (est-il également besoin de mentionner que Clint Eastwood est parfait dans un rôle plus délicat qu’il n’y paraît ?), doté en outre d’une musique irritante illustrant encore plus le danger permanent dans lequel évoluent les protagonistes, L’Évadé d’Alcatraz fait date dans le genre “films de prisons”. Palpitant comme un suspense d’Hitchcock, rugueux comme un Peckinpah, c’est une excellente manière de clore la fructueuse association Eastwood / Siegel, aussi importante pour l’un que pour l’autre.

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