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L’Étrange incident – William Wellman

etrangeincident

The Ox-Bow Incident. 1943

Origine : Etats-Unis 
Genre : Western dramatique et social 
Réalisation : William Wellman 
Avec : Henry Fonda, Dana Andrews, Anthony Quinn, Mary Beth Hughes…

Au Nevada en 1885. Assoiffés de vengeance après le meurtre de l’éleveur Kincaid, assassiné par des voleurs de bétail, les habitants de Bridger’s Wells organisent une battue en l’absence du shérif, bien que l’un d’entre eux estime cette initiative illégale. Deux voyageurs de passage, Gil Carter et Art Croft, acceptent à contrecœur de se joindre à la chasse à l’homme afin d’éviter que les soupçons ne retombent sur eux. Trois hommes sont capturés : un vieillard gâteux, un mexicain et Martin, qui semble être leur chef. Martin affirme qu’il a acheté le bétail à Kincaid pour repeupler un ranch abandonné, mais il ne peut produire aucun reçu pour prouver ses dires. Malgré leurs protestations, les trois hommes sont condamnés par la justice populaire et promis à une exécution sommaire.
Pourtant certains défendent les accusés, mais le major Tetley, un ancien officier sudiste, plaide avec éloquence en faveur du lynchage. Sept citoyens seulement sont partisans d’attendre le retour du shérif, aussi, les trois sont pendus… le shérif arrivera trop tard pour annoncer que Kincaid n’a pas été tué mais seulement blessé. De plus, les véritables coupables ont été pris.

L’Étrange incident, dans lequel Wellman décrit les dangers de l’hystérie collective et la pratique du lynchage, a été défini arbitrairement comme le premier “western psychologique”. Une étiquette aussi vague que discutable, qui avait déjà été appliquée à deux autres westerns : Toison d’or (White Gold, 1927) de William K. Howard et Le Vent (The Wind, 1928) de Viktor Sjöström. Toutefois L’Étrange incident marque une date importante dans l’histoire du cinéma dans la mesure où il s’agit du premier western de qualité qui aborde, avec honnêteté et intelligence, un thème social brûlant, sans tomber dans le piège du manichéisme et sans flatter le besoin d’évasion et de romanesque du grand public. Rompant avec les traditions bien établies du genre, c’est aussi le premier western qui sonde en profondeur les mentalités collectives et les motivations psychologiques de personnages placés dans une situation inhabituelle et décrits avec réalisme.
Certains critiques ont vu dans le film de Wellman le premier “anti-western”, un drame social qui utilise le cadre narratif traditionnel du western pour dénoncer les déviations de la société moderne. A cet égard, il s’agit certainement d’une œuvre d’avant-garde, qui fera date et servira de référence pour les nouveaux westerns “intellectuels” qui vont renouveler le genre dès la fin des années 40 : La Vallée de la peur (Pursued, 1947) et La Fille du désert (Colorado Territory, 1949) de Raoul Walsh, La Capture (The Capture, 1950) de John Sturges et surtout La Cible humaine (The Gunfighter, 1950) de Henry King et, enfin, Le Train sifflera trois fois (High Noon, 1952), le grand classique de Fred Zinneman.

Le seul film qui ait abordé auparavant un thème analogue est Furie (Fury, 1932) de Fritz Lang, violent réquisitoire contre le fanatisme collectif. Encore que Wellman lui-même ait déjà traité du problème du lynchage dans Les Conquérants (The Conquerors, 1932).
La représentation du lynchage à l’écran, n’est pas nouvelle en soi. Dans The Virginian (1929) de Victor Fleming, Gary Cooper dirige lui-même la pendaison de son meilleur ami, coupable de vol de bétail. Ce qui a changé avec Furie et L’Étrange incident, c’est la signification donnée à cet acte collectif. Durant les années 30 en effet on assiste à un développement très important de la conscience sociale et le lynchage, acte de justice primitive, devient une pratique indigne d’une société civilisée. Cet aspect est très net dans L’Étrange incident, un film sans “héros” au sens traditionnel du terme -malgré la présence du personnage positif, incarné par Henry Fonda-. Personne ici n’ose risquer sa vie pour empêcher le lynchage. Implicitement, tous ceux qui assistent à la pendaison sont complices et coupables, qu’ils approuvent ou non l’exécution.
Wellman et son scénariste Lamar Trotti – à qui l’on devra aussi le scénario de La Ville abandonnée (Yellow Sky, 1948) – ont été extrêmement fidèles au roman de Walter Van Tilburg Clark. Wellman, séduit par cet ouvrage, en a acheté les droits. Voici des mois qu’il propose en vain le sujet à différents producteurs lorsque, enfin, Darryl Zanuck envisage d’en faire un film. Tout en étant conscient des risques présentés par une œuvre aussi peu conformiste, il estime sans doute que cette entreprise ambitieuse pourra ajouter au prestige de la Fox.

Le fait de tourner pendant la guerre n’a pas été sans influencer la forme définitive du scénario, qui a dû édulcorer quelque peu la vision tragiquement pessimiste de Clark. En dépit de son incontestable fidélité au roman, L’Étrange incident atténue la condamnation sans appel de la faiblesse humaine à laquelle aboutit l’écrivain. Plusieurs critiques ont fait remarquer que la scène (qui ne figure d’ailleurs pas dans le livre) où Fonda lit à haute voix la lettre laissée par l’une des victimes, Martin, transmet aux spectateurs un message d’espérance qui n’est aucunement celui de l’écrivain. Mais il faut ajouter, à la défense de Wellman, que le public américain n’aurait pas pu accepter une image par trop négative de lui-même à une époque où il était mobilisé contre des puissances et des idéologies étrangères et où il était donc indispensable de renforcer l’union nationale.
On a également reproché à Wellman d’avoir abusé des “extérieurs” tournés en studio, sous prétexte qu’ils donnent au film un caractère artificiel. Mais le réalisateur a pu ainsi mettre au point de remarquables effets d’éclairage nocturne. De plus, il est indéniable que ces reconstitutions accentuent l’atmosphère de cauchemar en conférant aux scènes en question un style presque expressionniste.
Quelles que soient les critiques de détail, il n’en reste pas moins que L’Étrange incident, avec seulement 77 minutes de projection, a marqué une étape décisive dans l’évolution du western, dont il modifie les schémas directeurs et l’imagerie conventionnelle. Wellman confirme ainsi la thèse de Sam Peckinpah, qui voit dans le western “un schéma universel à l’intérieur duquel il est possible de faire entrer une critique de la société contemporaine“.

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