CinémaHorreur

L’Emprise des ténèbres – Wes Craven

emprisedestenebres

The Serpent and the Rainbow. 1988

Origine : États-Unis
Genre : Horreur
Réalisation : Wes Craven
Avec : Bill Pullman, Cathy Tyson, Zakes Mokae, Paul Winfield…

Wes Craven n’est certainement pas un des plus grands réalisateurs du siècle. Cependant, jusqu’à environ la deuxième moitié des années 90, entre plusieurs ratages, il avait pris l’habitude de réaliser quelques bons voire très bons films. En 1988, sa dernière pépite en date se nommait Les Griffes de la nuit, qui datait tout de même de quatre ans. Quatre insignifiances plus tard (soit exactement le même nombre de films séparant La Colline a des yeux des Griffes de la nuit), le voilà qui se met à réaliser un excellent film ! A la bonne heure ! Il s’agit donc de L’Emprise des ténèbres, titre français pourri pour un film adapté d’un livre d’anthropologie signé Wade Davis. Un scientifique specialisé dans les cultures amazoniennes et caraïbéennes, un gars respecté, diplomé d’Harvard, et qui n’accepta de vendre les droits de son livre The Serpent and the Rainbow à la Universal uniquement si celle-ci acceptait de confier la réalisation du film à Peter Weir et le rôle principal à Mel Gibson. “Oui oui”, dit la Universal en souriant, tout en pensant “parle à mon cul ma tête est malade.” On pourrait trouver le procédé scandaleux si le film de Craven avait été un film d’horreur au rabais. Mais c’est loin d’être le cas.

L’histoire se déroule à Haïti, où la dictature de Duvalier fait rage et s’appuie sur les “tontons macoutes”, c’est-à-dire la police politique dirigée par le funeste Peytraud, tortionnaire aux méthodes particulières, puisqu’outre la torture classique, il applique aussi ses connaissances de la magie noire et du vaudou pour dominer ceux qui se dressent sur son chemin. A l’aide d’une poudre spéciale, il les transforme en zombies : les faisant passer pour morts biologiques, il les fait enterrer, tandis que leur corps, récupérant lentement des effets de la drogue, revient à la vie lorsqu’il est trop tard. Avec ce procédé, Peytraud parvient également à déposséder les malheureux de leurs âmes : il stocke ces dernières dans des bocaux pour pouvoir plus tard s’en servir pour tourmenter ceux qui se seraient évadés de leurs tombes ainsi que pour créer des cauchemars chez ses futures victimes. C’est dans ce milieu et aidé par une jeune femme locale que va se plonger l’anthropologue américain Dennis Alan, chargé de ramener cette poudre au pays pour pouvoir s’en servir à des fins médicales.

Je ne sais pas à quel point le film de Craven est resté fidèle à ce qui est décrit dans le livre scientifique de Wade Davis, mais en tout cas il se veut le plus proche possible de l’état politique règnant trois ans auparavant à Haïti, effectivement sous la dictature de Duvalier : un pays au bord de la révolution mais pourtant en apparence somme toute assez normal, dans lequel les habitants ne perdent pas le moral, guidés par une foi commune en leurs croyances. Pour l’anecdote, bien que le film fut tourné sur place après la chute de Duvalier, l’équipe du film dût plier bagage pour cause de troubles populaires durant cette période de flottement politique (qui n’a d’ailleurs jamais vraiment cessé depuis), direction la République Dominicaine. Le temps tout de même pour Craven d’avoir pu constater par lui-même l’état du pays. Car ce réalisme historique n’est pas là pour rien : The Serpent and the Rainbow se veut non seulement un retour aux sources au mythe des zombies (rares sont les films notables à avoir fait cela depuis le White Zombie de 1932), mais il veut aussi s’en servir pour décrire un monde où la terreur politique s’effectue non seulement au plan physique mais aussi au plan spirituel. A coup de zombifications, Peytraud réussit à se débarasser des opposants et à prévenir l’apparition d’éventuelles rebelles au sein de ce peuple pour lequel la religion, mélange de vaudou et de catholicisme, compte plus que toute autre chose. La menace que représente les Tontons Macoutes est d’autant plus forte qu’elle peut également toucher l’âme : c’est ce à quoi se trouveront confrontés le docteur Alan et sa guide, une opposante politique. La seconde, déjà au fait de ce qui se déroule dans son pays, saura ce qu’elle risque. Le premier, par contre, celui auquel s’identifie forcément le spectateur, découvrira de plein fouet la réalité locale. Les répressions physiques ne pardonneront pas, et les intimidations prennent la forme d’une salle de torture digne de la Gestapo. Mais c’est bien les répressions spirituelles qui constitueront le gros point fort du film. Craven retrouve ici la grâce qui l’avait animé pour Les Griffes de la nuit, et toutes les séquences de cauchemars et d’hallucinations se révèlent très efficaces. Le réalisateur, comme il l’avait fait avec les premières aventures de Freddy Krueger (un personnage auquel Peytraud, dans le final, ressemblera énormément) brouille la réalité et le rêve, le second venant bien souvent emboîter directement le pas sur la première dans des séquences très cruelles, très effrayantes, avec une mention spéciale pour la mariée morte-vivante ou encore pour la géniale scène dans laquelle Alan se fait enterrer vif. L’incessante double répression plonge le personnage principal dans un état de fièvre permanent, encore entretenu par l’activité quotidienne des Haïtiens, ressemblés en masse dans les rues, dans les bars, dans les cérémonies, et par une mise en scène très inspirée, avec cette caméra sachant rendre à la perfection le manque de repère vécu par le personnage… Aucun répit n’est donné par Craven, et la progression d’Alan pour obtenir cette poudre magique permettra au réalisateur d’accentuer toujours davantage le malaise ambiant, jusqu’à un climax final, qui cela dit ne répond pas forcément aux exigences dûes à la très grande qualité de ce qui a précédé (chose déjà similaire dans Les Griffes de la nuit).

Le film se veut adapté d’une histoire vraie. Je doute fortement de la véracité de tout ce qui nous est présenté, mais en tout cas le mélange d’horreur, d’anthropologie et de politique effectué par Craven donne pour une fois raison à la Universal et non à l’auteur du livre original, que j’imagine enervé d’avoir été trahi et d’avoir vu son livre servir de support à un film horrifique. The Serpent and the Rainbow est un excellent film, à classer aisément parmi les meilleurs d’un réalisateur à la carrière très étonnante.

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