CinémaErotique / XThriller

Je couche avec mon assassin – Wolfgang Becker

coucheassassin

Ich schlafe mit meinem mörder. 1970

Origine : R.F.A. / France 
Genre : Giallo ludo-sexy 
Réalisation : Wolfgang Becker 
Avec : Harald Leipnitz, Véronique Vendell, Ruth-Maria Kubitschek, Friedrich Joloff…

Jan, être sans trop de scrupules, croc-magnon de l’ère machiste, est marié à Angela (Ruth-Maria Kubitschek), une châtelaine fortunée qui n’a de cesse de lui rappeler qu’il est son homme objet, son gode vivant, qu’il n’est qu’un phallus dont elle se rassasie lorsque bon lui-chante et dont elle ne se séparerait sous aucun prétexte. De son côté l’homme est relativement libre notamment dans ses frasques et infidélités avec la charmante Gina (Véronique Vendell), qui il est vrai, possède l’avantage de la jeunesse, avec vingt ans de moins au compteur que son épouse.
Cette dernière n’hésite cependant pas à leur mettre à disposition une villa très cossue au bord du lac de Constance, et après tout, tant qu’elle garde son mari, peu lui importe. Garder une main au sens propre comme au figuré sur son sexe. Le mari volage lui, aimerait bien se tirer avec sa maîtresse en même temps que l’argent de sa femme. Pour se faire il élabore un plan à priori sans faille (quoiqu’assez ubuesque). Le but est d’alerter Angela par lettre anonyme afin qu’elle se déplace au sein de la Villa, la tuer et maquiller son meurtre en suicide. Jan semble tout prévoir comme cette carafe remplie de Whisky et de somnifères dont il est écrit qu’elle s’en servira un verre, c’est sa marque préférée. Entre temps Gena devra prendre l’apparence de Angela pour faire une pseudo crise de ménage en présence des jeunes prostitués qui serviront de témoins ensuite. Témoins de quoi ? Du suicide de ladite épouse indignée puis totalement déprimée par les infidélités de son mari. Le plan a l’air alambiqué ? Et bien pas plus qu’un crime parfait élaboré par Hitchcock dirons-nous, à la différence d’un unique détail qui chamboulera tout le déroulement de cette mascarade de suicide, puisqu’entre temps des cambrioleurs rentreront en jeu, assommant Angela à peine arrivée dans la Villa.
De là s’en suivra une succession d’incompréhensions et de situations cocasses, le corps de la bourgeoise ayant disparu, il faudra alors faire croire que Angela est vivante, puis morte, puis vivante, chacun n’y comprendra plus rien et sera pris sans cesse à revers par le cours des évènements…

J’aurai pu aller plus loin dans l’énoncé du script qui finalement dit tout le fond du film et ce à quoi on assistera tout du long de Ich schlafe mit meinem mörder, c’est à dire une fable brillante et drôlatique en même temps qu’une variation sur le thème du mâle de l’époque en perte de contrôle, puisque confronté à l’émancipation de la femme. En effet, celle-ci a sans conteste pris le pouvoir, contrôlant les affaires et détenant l’argent du ménage, elle tient ainsi en laisse le mari mécréant, inversant alors les rôles puisqu’il ne n’est plus qu’un objet, sexuel. Et à Wolfgang Becker de nous offrir un délectable jeu de massacre à l’ironie mordante, doublé d’un spectacle jubilatoire à ne pas prendre au sérieux.
Le scénario élaboré par Werner Z. Zibaso est absolument remarquable de tortuosité mais reste cohérent d’un bout à l’autre, jonglant habilement avec tous les poncifs du thriller machination façon Boileau et Narcejac.
On verra passer en 80 minutes moult situations qu’on croira reconnaître mais qui seront immédiatement mises à mal, obligeant les amants à changer sans cesse leur plan. C’est avec une délectation non feinte que les situations seront mises en scène dans une sorte de pièce de théâtre filmée avec une grande ludicité. De fait, quand bien même bavardes, celles-ci resteront de bout en bout drôles et palpitantes et le réalisateur dont c’est ici la seule contribution pour le cinéma fait preuve d’une grande intelligence en effaçant sa mise en scène devant son script et son sujet.

Wolfgang Becker lorsqu’il tourne ce giallo érotique et ludique est alors déjà un vétéran de la télévision. Il a débuté au cinéma comme monteur durant les années 30 auprès de metteurs en scène reconnus (Josef von Baky, Géza von Bolvary) avant de travailler aux débuts des années soixante pour la ZDF et d’œuvrer au sein de feuilletons populaires à tendance krimi (le dernier en date et le plus connu sera Tatort). Ceci expliquant cela, il est logique de trouver ici un ego en retrait, avec un réalisateur qui a avant tout pour soucis d’illustrer son histoire. On pourra même avoir le sentiment par moments de se trouver face à un épisode de Columbo, ce qui ne gâchera pas le plaisir bien au contraire, et c’est de charme qu’on parlera. Si Becker s’efface devant son histoire, il se permet toutefois pas mal de libertés de ton, ainsi que quelques dérapages dans son récit. En même temps qu’un récit policier à base de complot délirant le film est avant tout un formidable exercice érotique empreint d’un fort militantisme féministe. Féminisme d’avant les chiennes de garde qui sévissent un peu partout de nos jour, puisque les femmes pourront y revendiquer leur droit à la nudité, assumant totalement leur droit au sexe et plaisir. Vengeresque sans aucun doute aussi et c’est bien normal puisqu’elles auront trop longtemps subi le joug de l’homme. Il est temps de se lâcher ! Et au film d’offrir de beaux interludes un peu cochons dans lesquelles les femmes émancipées, s’enlèvent culottes, se massent le clitoris dans des élans de solidarité, puis le plus souvent comme évoqué ci-dessus, se serviront des hommes comme d’étalons, de purs objets de plaisir quand bien même putes ou ex putes elles seraient. Un vent de féminisme passe, mais plus encore. Je couche avec mon assassin génère un beau souffle de libéralisation sexuelle. Les scènes érotiques y sont nombreuses, joyeuses, ironiques, allègres, ludiques et belles. Elles y sont également excitantes et il faudrait être un brin coincé ou hypocrite pour ne pas admettre que le film est plutôt bandant, et après tout l’expérience cinématographique étant une expérience sensorielle, on peut dire qu’il est très généreux à ce niveau.

Un spectacle bandant donc, mais pas seulement dans les passages érotiques. On jubile également devant tant d’ingéniosité déployée dans le vide, par Jan notamment, tellement vaniteux avec sa persuasion et sa capacité à séduire qu’il passe le plus souvent pour un gentil con, tout comme on se délecte de la façon dont Angela mène inéluctablement le rênes à tous les niveaux. D’ailleurs sans trop vouloir en dévoiler, de rebondissement en rebondissement, même morte, elle n’aura jamais cessé de diriger. Pour parfaire le plaisir pris ici, il convient de dire que les acteurs y sont excellents et jouent le jeu (car le film n’est que pur jeu). Harald Leipnitz (Le Masque De Fu Manchu de Don Sharp) joue son rôle d’icône machiste jusqu’au bout et avec conviction, tandis que la bien jolie Véronique Vendell (actrice d’origine française ayant joué dans Barbarella) encore légèrement assujettie à la domination mâle dans le film, prête ses charmes sans retenue et avec même une belle arrogance. Ailleurs Ruth-Maria Kubitschek mène la danse, même absente, ses apparitions du début hante le film tant et si bien qu’on sent sa présence, presqu’autant que le personnage de Laura dans le film éponyme d’Otto Preminger, pour revenir aux références cinéphiliques du film noir ici convoqué. De deux en un, cette présence fantomatique dédouble le portrait érotico-machiste de notre héros un brin émasculé pour le coup, en même temps que dans un cadre purement policier, elle fonctionne à merveille.
Bref, c’est à un spectacle généreux et rempli d’humour auquel on aura assisté, ajouté à cela une partition de Martin Böttcher très sexy, qui souligne très bien les intentions tapies et l’ironie du propos mis en scène, et l’on peut dire qu’on tient là un divertissement définitivement haut de gamme en même temps qu’une radioscopie mordante de toute une époque et ses mœurs en évolution.

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