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Häxan, la sorcellerie à travers les âges – Benjamin Christensen

haxan

Häxan. 1922

Origine : Danemark / Suède 
Genre : Docu-fiction / Fantastique 
Réalisation : Benjamin Christensen 
Avec : Maren Perdersen, Clara Pontoppidan, Oscar Tribolt, Elith Pio…

Häxan, sous titré dans nos contrées “la sorcellerie à travers les âges” est un film pour le moins étrange, qui ne manquera pas d’étonner les cinéphiles aventureux qui auront la curiosité de se le procurer.
La sorcellerie n’est certes pas un sujet rare dans le cinéma fantastique (encore que dans les années 1920 le nombre de films traitant du sujet devait être fortement limités) et là où Häxan se démarque fortement de toute autre production cinématographique c’est dans son traitement. En effet Benjamin Christensen décide de faire un “docu-fiction” mêlant des scènes tout à fait sérieuses, qui revêtent un caractère informatif avant tout, à d’autres scènes plus ludiques. Le film commence donc par une introduction nous présentant divers schéma et gravures, avec très peu d’animations. Ce prologue vise principalement à nous montrer que la sorcellerie, et quelque soit le nom donné a ces pratiques, a toujours fasciné certains esprits, et ce depuis l’antiquité.
Après ceci, le film s’attache principalement à décrire les divers aspects et caractéristiques de la sorcellerie au Moyen Âge en Europe : soit, en gros, la fin du XIVè siècle, période où les pratiques étaient le plus répandues.

Le film nous montre alors quantités de scènettes plus ou moins reliées par un axe narratif unique. Ces passages romancés et explicites sont donc interprétés par des acteurs costumés. Et le ton se fait alors beaucoup moins sérieux, Christensen n’hésitant pas à user et abuser d’effets spéciaux pour dresser une véritable nomenclature quasi exhaustive des phénomènes considérés en ces temps comme des manifestations diaboliques. Il utilise avec une grande habileté toutes les techniques d’effets spéciaux disponibles à l’époque : acteurs maquillés et grimés en diables cornus, animation en image par image, fondus enchaînés simulant des disparitions mystérieuses et même des animatroniques pour certaines créatures… Ajoutons aussi à cela des effets de montages éminemment suggestifs qui figurent l’entrée du fantastique dans le récit.

Ainsi le film oscille régulièrement entre le documentaire et la fiction. Et si les scènes les plus sérieuses pourront paraître redondantes à certains, les passages romancés au contraire plongent souvent dans un surréalisme de bon aloi exploitant avec brio tout ce que l’imagination populaire a pu créer. On y voit des femmes trompant leur mari avec des démons, des sorcières invitées au royaume de Satan où l’or abonde, les mixtures infâmes préparées par les sorcières à base de racines, de restes humains et de bébés morts… Et surtout une scène de Sabbat proprement hallucinante où démons et sorcières s’agitent dans une farandole fantastique et irréelle. La rigueur du cadre, la composition des plans et l’originalité des costumes et des décors font de ces scènes des vrais morceaux de poésie cinématographiques. L’imaginaire et le fantastique sont très présent et s’accompagnent comme toujours de scènes sulfureuses. Évidemment si à présent les quelques corps dénudés, les formes féminines subtilement suggérées par des jeux d’ombres, et les scènes de violences (un infanticide quand même) maquillées font sourire, à l’époque il ne devait pas en être de même, et sans doute que le film eut quelques démêlés avec la censure alors très stricte. Bref, le film n’est pas avare en séquences chocs.
Mais en contrepoint de toutes les manifestations magiques, Häxan s’attarde longuement sur la cruauté dont fait preuve l’inquisition envers les suspects. Véritable manifeste anticlérical, le film décrit avec insistance le sadisme des inquisiteurs et les tortures aussi variées qu’ignobles qu’ils font subir aux soit disantes “sorcières”. On se souviendra à ce titre de cette séquence très froide et dure où les instruments de torture et leur fonctionnement sont montrés de manière très explicite et détaillée à la caméra.

Christensen dévoile alors son véritable but : faire de Häxan un pamphlet contre l’intransigeance religieuse et l’obscurantisme que l’Église exploite afin d’assurer sa domination sur le peuple.
Le film se conclut donc sur un retour au présent (donc les années 20 et le début du XXème siècle) où le réalisateur a alors recourt à la science et l’explication médicale pour affirmer que tout ce qui était alors considéré comme des manifestations sataniques : les possessions, les hallucinations et autres formes d’hystérie, n’appartiennent qu’au domaine de la psychologie et de la psychiatrie. Mais même là, le réalisateur ne se dépare pas de son sens critique et émet des doutes bien légitimes quant à la pertinence de certains traitements utilisés par les psychiatres et les hôpitaux…

Bref, Häxan est un film résolument unique, qui brille par l’audace de son traitement et l’intelligence de son propos. Mais le film se démarque aussi par ses aspects plus formels, les talents de mise en scènes dont fait preuve Christensen dans sa description du bestiaire fantastique et des pratiques reliées à la sorcellerie sont indéniables et font de Häxan une œuvre rare et précieuse.
Un film qui sort du lot, que l’on conseille vivement à tous les curieux.

Notons qu’il existe deux versions du film : une version originale (et intégrale) sortie en Suède en 1922 qui est muette et accompagnée de morceaux classiques. Et une version pour le marché américain, sortie dans les années 60, narrée par William Burroughs (un des chefs de file de la “Beat Generation” par ailleurs très apprécié en ces lieux) sur fond de musique Jazz. Cette dernière version a toutefois été amputée de quelques scènes.

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