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Great Balls of Fire ! – Jim McBride

greatballsoffire

Great Balls of Fire !. 1989

Origine : Etats-Unis
Genre : Biopic
Réalisation : Jim McBride
Avec : Dennis Quaid, Winona Ryder, John Doe, Stephen Tobolowsky…

Jerry Lee Lewis, dit “The Killer”, est un des pionniers du rock’n’roll, une figure légendaire, qui tira son épingle du jeu grâce à son habilité à jouer du rock au piano et à enflammer les salles de spectacles par ses morceaux on ne peut plus énervés. Bill Haley marqua les esprits en réussissant à imposer le rock’n’roll en haut des charts (avec son fameux “Rock around the clock”), Elvis le popularisa sous la forme du rockabilly, Buddy Holly apporta la créativité musicale, Chuck Berry imposa le culte de la guitare, Little Richard fusionna le gospel avec le rock, apportant avec lui les prémices du funk. Tant d’autres artistes des années 50 apportèrent une nouvelle pièce à l’édifice. Mais Jerry Lee Lewis, lui, son truc, c’était le dynamisme purement rock’n’roll, celui qui inspira les caricatures à la Happy Days.

Le biopic qui lui est consacré, adapté du livre de son ancienne femme Myra (livre honni par Lewis) fut souvent attaqué en raison du silence qu’il porte sur certaines zones d’ombres du chanteur incarné par Dennis Quaid, son comportement erratique, ainsi que sur son traitement pour le moins simplifié du rock’n’roll et de l’ascencion de Lewis. En somme, on reprocha au film de ne montrer que le versant positif du rock’n’roll et du chanteur. Mais l’objectif du réalisateur, Jim McBride, n’est assurément pas d’être scrupuleux sur la réalité. Son film est une idéalisation sur les années 50, sur le rock’n’roll (en l’occurence celui du Killer), sur sa portée sociale immense. Le choix de Jerry Lee Lewis n’est pas anodin, alors qu’il existe tant d’autres personnalités qui ont marqué l’histoire de cette musique (et qui parfois eurent également droit à des films, comme The Buddy Holly Story en 1978). Etant l’artiste le plus survolté, Lewis est celui qui réussit le mieux à montrer toute l’évolution de la société américaine par le biais du rock’n’roll. La première scène du film nous montre ainsi Jerry Lewis enfant, qui part dans le “quartier chocolat” (le quartier noir) pour admirer le spectacle de ces musiciens de blues et de cet auditoire libéré des contraintes morales de la civilisation blanche. Une entrée en matière un peu grosse pour expliquer les influences musicales de Lewis, mais qui en tout cas a la mérite de démontrer qu’effectivement, la culture musicale des afro-américains joua un rôle décisif dans l’apparition du rock’n’roll, et avec lui, dans l’évolution des moeurs américaines. Passée cette introduction, le film se poursuit lorsque Lewis part habiter chez son cousin, dans une ville où il compte bien enregistrer pour la firme Sun Records, celle-là même qui découvrit Elvis avant de le laisser filer dans un manque d’inspiration flagrante. On ne s’attarde guère sur l’évolution de la carrière du Killer, celle-ci est résumée pour mieux cerner les ambitions du film, réalisées en très peu de temps dans le film.

Sa musique fait véritablement bouger l’Amérique, et tout l’esprit du rock’n’roll est ici : le défi aux valeurs puritaines représentées par un autre cousin du chanteur, persuadé que le rock’n’roll est la “musique du diable”. Lewis, croyant mais pas dogmatique pour un sou, n’est pas d’accord, et il continue à enfiévrer l’Amérique. Sa musique est avant tout sexuelle : “Whole Lotta Shakin’ going on” (adaptée d’un traditionnel de la musique noire) fait clairement référence à l’acte sexuel, tout comme d’ailleurs le terme “rock’n’roll”. La danse qui se pratique sur cette musique est désinhibitrice : les jeunes ne se contrôlent plus, ils envoient paître cette vieille morale d’avant-guerre, obsolète dans une société en pleine évolution matérielle et qui appelle à voir également l’évolution des moeurs. Les filles se déhanchent sous l’impulsion de Lewis, qui lui-même, sur scène, est intenable : il grimpe sur son piano, joue toujours plus rapidement, il maltraite son instrument… Cette partie du film est clairement la meilleure, sur la forme : Dennis Quaid, qui en fait par ailleurs parfois un peu trop lorsque son personnage n’est pas sur scène, parvient à retranscrire toute l’exubérante énergie des concerts. Dans une sorte de mini-compétition entre Lewis et Chuck Berry, ce dernier exige de passer en dernier, pour livrer le clou du concert. Lewis accepte, avec pourtant la volonté de ne pas se laisser marcher sur les pieds : il interprétera le mythique “Great Balls of Fire” avec une optique jusqu’au-boutiste, mettant le feu dans la salle, mais aussi, littéralement, à son piano, envahi par les flammes pendant la dernière partie de la chanson. A noter que Quaid ne fait ici que de la post-synchronisation et que c’est bel et bien le vrai Jerry Lee Lewis, qui réenregistra ses chansons-phares pour l’occasion du film. Plus de 30 ans après avoir enregistré leurs premières versions dans le studio de Sun Records (qui d’ailleurs servit de décor au film), le Killer n’a rien perdu de ses qualités… Derrière ces chansons magistrales et ces succès populaires se dresse donc l’Amérique en pleine évolution : la morale sexuelle évolue avec le rock’n’roll, la tolérance envers la population noire également, et la jeunesse ne veut pas non plus entendre parler de la guerre froide, qui l’effraie et qui menace de détruire leur génération comme la Première Guerre avait détruit celle de la Génération dite perdue, ou que la Seconde Guerre avait brisé leurs parents moins de dix ans auparavant. A travers sa musique, Lewis est un extrêmiste, un chantre de la libération, et bien qu’il ne soit pas athée, il n’hésitera pas à moquer la parole soit-disant divine pour conserver sa fraîcheur d’esprit, qu’il véhicule à tout un pays.

Au-delà même de sa musique, le Killer est extrêmiste : il n’en fait qu’à sa tête, au début avec le plus grand succès (c’est lui qui insiste pour sortir “Whole Lotta Shakin’ going on” en dépit des récriminations des ligues puritaines), et puis finalement jusqu’à sa décadence. Car Lewis, semble dire le film, a une conception tellement personnelle de la liberté qu’il se permet d’épouser sa cousine de 13 ans (jouée par Winona Ryder, alors 18 ans -et ça se remarque quand même un peu- alors que son propre second mariage n’est pas encore officiellement annulé ). Chose que le vrai Lewis fit effectivement dans la réalité, et la cousine est d’ailleurs l’auteur de la biographie sur laquelle le film est basé. C’en est cette fois trop pour beaucoup de monde et dans l’ascension libertaire de cette société des années 50, Lewis misait sur la fidelité de son entourrage et de ses admirateurs. Mais, trop en avance sur son temps, il se heurta d’abord à des mises en garde, puis, lors d’une tournée en Angleterre, à des journalistes anti-rock, qui plombèrent la tournée avec leurs révélation fracassantes sur la vie privée du chanteur. Cette fois la jeunesse ne suivit plus, et le chanteur déclina des deux côtés de l’Atlantique, alors même qu’il s’apprêtait à devenir le successeur d’Elvis Presley (celui-ci croise plusieurs fois le chemin du Killer dans le film, donnant lieu à de grandes séquences d’intimidation, mais la réalité est toute autre : avec Carl “Blue Suede Shoes” Perkins et Johnny Cash, ils enregistrèrent même un album improvisé sous le nom du “Million Dollar Quartet”). Nombreuses furent ses occasion de rédemption, mais, jugeant qu’il n’avait rien à se reprocher, il ne céda jamais, sans jamais se laisser ternir par les critiques, réagissant soit violemment (il balance son piano au bas d’une scène alors que sa popularité est déjà au plus bas) soit par le biais de sarcasmes plutôt comiques, d’ailleurs (surtout vis-à-vis de son cousin religieux).

Et c’est ainsi que finit la plus grosse partie de la carrière d’un des pionners du rock’n’roll : abattue par une morale qu’il contribua à faire évoluer, mais qui n’était pas encore prête au degré l’évolution voulue par Jerry Lee Lewis (qui n’abandonna jamais le rock’n’roll). Avec la retraite purement gospel d’un Little Richard se consacrant à l’Eglise (afin d’essayer de réprimer son homosexualité), avec le crash d’avion dans lequel périrent Buddy Holly, Richie Valens et le Big Bopper Richardson, avec le départ d’Elvis Presley à l’armée, avec le scandale de Alan Freed (le plus important disc jockey du rock’n’roll et grand organisateur de concerts) impliqués dans des magouilles financières et dans une soit-disante “incitation à l’émeute” (il avait déclaré à la radio “la police ne veut pas que vous vous amusiez”), avec le procès de Chuck Berry pour proxénétisme, le rock’n’roll première génération disparut. Mais en quelques années, il avait eu le temps d’ouvrir la porte au progrès, dans laquelle s’engouffrèrent quelques années plus tard les britanniques (Beatles en tête, évidemment). C’est cela que nous raconte Great Balls of Fire ! à travers la destinée de Jerry Lewis : un monde qui s’ouvre, une Amérique qui bouge enfin, sous l’impulsion d’une jeunesse motivée par des artistes comme Lewis. L’adoption du rock’n’roll n’est en rien une rebellion adolescente gratuite comme de nos jours : rarement voire jamais dans l’histoire de la musique, un mouvement ne représenta aussi clairement la différence de pensée et d’attitude entre les générations. Ce fut une véritable révolution culturelle trouvant ses racines chez les ennemis de l’Amérique puritaine (la population noire), telle qu’on n’en connaîtra plus jamais. A ce titre, et malgré ces défauts, Great Balls of Fire ! mérite le visionnage, et Jerry Lee Lewis mérite amplement d’être reconnu comme l’un des plus importants chanteurs du vingtième siècle.

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