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Flight 90, la catastrophe du Potomac – Robert Lewis

flight90

Flight 90 : Disaster on the Potomac. 1984

Origine : Etats-Unis 
Genre : Docufiction 
Réalisation : Robert Lewis 
Avec : Jeanetta Arnette, Barry Corbin, Stephen Macht, Richard Masur…

 

Quand un film est adapté d’une catastrophe réelle alors que l’accident est toujours dans les mémoires, qu’il est conçu pour une diffusion sur les grandes chaînes télévisuelles, qu’il est commercialisé à grand renfort de slogans et de posters accrocheurs et qu’il commence par une note de la production rendant hommage aux sauveteurs héroïques et aux victimes malheureuses, il y a tout lieu de s’inquiéter. Il y a de fortes chances pour que la reconstruction bifurque vers la dramatisation hollywoodienne obsédée par l’idée de faire pleurer dans les chaumières. Et ce qui est arrivé au Vol 90 s’y prête tout particulièrement, surtout quand l’on sait que ses héros furent décorés par toutes les institutions possibles et que Ronald Reagan initia même une tradition consistant à inviter un citoyen distingué au très formel Discours annuel sur l’état de l’Union. Depuis 1982, date de l’accident qui nous intéresse ici, les Présidents Etats-Uniens récompensent ainsi régulièrement un “Larry Skutnik”, du nom d’un des hommes qui plongèrent dans le fleuve Potomac pour secourir les survivants de la catastrophe (une distinction contestable, puisqu’elle peut aussi bien rendre hommage à des gens ordinaires qu’à des sportifs auteurs de hauts faits ou à des hommes politiques alliés… Tony Blair par exemple !).

Le 13 janvier 1982, un Boeing 737 de Air Florida quitte Miami pour l’aéroport national de Washington, où une tempête de neige fait rage et où les records de froid sont battus. Il parvient à se poser et doit peu après embarquer ses passagers pour sa prochaine destination, Tampa. Le vol est repoussé d’1h45 du fait des conditions météorologiques. Une négligence de la part du pilote va conduire à un envol dramatique et au crash de l’avion sur un pont de Washington. Le Boeing sombre dans le fleuve Potomac, et seuls six survivants réussissent à s’extraire de l’appareil. Ils se retrouvent dans l’eau glacée, et en raison de la tempête et de ses effets sur le trafic routier les secours peinent à arriver jusqu’à eux. Les badauds tentent de créer une corde de fortune, mais sans résultat. Un premier passant plonge dans le fleuve mais les plaques de glace l’empêche d’aller très loin. Puis un hélicoptère de la police arrive et tente de jeter des bouées de sauvetages à l’eau en espérant que les victimes s’y accrocheront, si toutefois elles en ont encore la force. L’une d’entre elles, Arland Williams, reçoit la bouée mais la passe à sa voisine. Il finira par se noyer. Un autre passant, Larry Skutnik, se jette à l’eau et réussit à ramener l’une des victimes. Sur les cinq personnes étant remontées à la surface, cinq auront donc survécu, dont une hôtesse.

Voilà en gros l’histoire du Vol 90. Quant aux peurs sur la dramatisation excessive de la tragédie, elles ne font dans un premier temps que s’accentuer. Quarante minutes durant, le réalisateur Robert Lewis pénètre dans le quotidien de ceux qui seront amenés à jouer un rôle important, victimes ou sauveteurs, adoptant ainsi une imagerie mélo très télévisuelle. De toute évidence, il cherche à faire naître l’empathie pour tous ces américains moyens en passe de voir leurs vies brisées. Le choix des passagers ayant droit à ces approfondissements peut faire débat dans le cadre d’un film censé rendre hommage. Ainsi les futurs survivants se retrouvent fortement plébiscités, et ceux qui mourront dès le crash n’ont pas droit à toutes ces attentions (conjoints exceptés). La seule personne à mourir directement ayant eu le privilège de figurer dans cette première partie est une hôtesse enceinte, ce qui bien entendu est un symbole un peu sensationnaliste pour représenter les 70 morts. Bien sûr, il aurait été impossible de faire connaître les 70 victimes, mais le choix de cette hôtesse précisément ne doit rien au hasard. La ménagère ne peut que verser sa larme. Quant aux futurs survivants, ils ont tous droit au moins à une certaine insistance sur l’amour de leur conjoint ou de leur famille, quand ce n’est pas sur les difficultés de leur couple, encore plus sentimentales (une femme sur le départ qui refuse la proposition de mariage de son fiancé, un enfant qui refuse de vivre avec son beau-père, lequel s’apprête à débarquer avec le Vol 90…bref tout pour pleurer sur des séparations douloureuses). Même si il est difficile de le savoir avec exactitude, la sphère privée semble en tout cas avoir été respectée, même si romancée (pour peu, on croirait que les familles anticipent ce qui va se produire).

En conséquence à ces intrusions dans la vie quotidienne se profile alors un autre doute : l’inévitable réaction des familles à l’annonce du crash. Si il y a bien un moment où le film doit grossièrement tomber dans la dramatisation excessive, c’est celui-là. Fort heureusement, Robert Lewis s’efface devant les douleurs, à une exception près (pour la famille d’Arland Williams, dont la future épouse déclare savoir dans son cœur que le naufragé sacrifié est bien Arland). Il n’y a pas de grosses crises de larmes, pas de dénouement interminable, juste des retrouvailles soulagées ou des peines pleines de pudeur. Venons-en maintenant au plus gros du film : le décollage, le crash et le sauvetage. Si le décollage n’est pas loin non plus de frayer avec la dramatisation (avec insistance sur le système anti-glace qui est gelé… forcément, quelque chose cloche), il s’en écarte vite fait. C’est avec le crash (montré sans effets spéciaux, à coups de montage rapide et mouvementé) que le film devient vraiment une docufiction. Robert Lewis verse dans un grand réalisme, ayant même recours aux images d’archives publiées aux informations le jour de la catastrophe. Et pourtant, plusieurs choses peuvent laisser entendre que le réalisateur ait fait joué son imagination. Mais la réalité elle-même fut assez “hollywoodienne” : les paroles échangées entre un copilote inquiet et un pilote peu concerné furent bien enregistrées par la tour de contrôle, le gros plan sur la tentative d’un sauveteur pour sortir une victime de l’eau fut effectivement retransmis en direct à la télévision, la bouée lancée depuis l’hélicoptère fut bien lâchée par les victimes trop affaiblies, contraignant l’un des membre d’équipage à descendre près de l’eau, la seule hôtesse survivante donna bien le seul gilet de sauvetage disponible à un passager, et puis bien sûr Arland Williams se sacrifia bel et bien pour sauver d’autres vies…

La réalisation se fond également sur celle des images d’archive, donnant davantage l’impression d’une reconstitution sans artifices que d’une simple remise en scène. Ainsi les images sont vues au travers d’un voile de brume et cadrées sans grande recherche de mouvement, donnant la sensation d’être en plein milieu de la tempête de neige. Ce réalisme forcené porte ses fruits : le spectateur peut tout seul et comme un grand éprouver de la compassion (notamment pour Priscilla Tirado, dont le mari et le bébé sont morts dans l’accident) sans y être contraint par la force. La principale démarcation d’avec la réalité tient en des considérations extérieures au travail du réalisateur : désireux de ne pas être vu sous un angle hollywoodien, Lenny Skutnik ne laissa pas la production utiliser son image comme bon lui semblait. Il ne joue donc dans le film qu’un rôle anonyme, Roger Olian se taillant la part du lion.

Après avoir été tout près de franchir le Rubicon, Flight 90 s’est donc remis sur le droit chemin. C’est assurément un bon téléfilm au rôle essentiellement informatif, dépourvu de toute théâtralité. Son souhait de rendre hommage n’en est que plus accompli.

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