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Enfants de salauds – André De Toth

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Play dirty. 1968

Origine : Royaume-Uni
Genre : Guerre
Réalisation : André de Toth
Avec : Michael Caine, Nigel Davenport, Nigel Green, Harry Andrews…

Libye, Octobre 1942. Convoqué par le général Blore, le colonel Masters se voit reprocher l’échec répété de ses précédentes missions, aussi coûteuses en vie humaine qu’en matériel. Le général Blore lui offre une dernière chance de se racheter : détruire un dépôt de carburant utile à l’armée de Rommel. Pour remplir sa mission, Masters demande au capitaine Leech de former un commando auquel sera adjoint le capitaine Douglas pour ses connaissances dans le domaine du pétrole. Et les huit hommes de s’enfoncer dans le désert, où ils découvriront qu’il y a pire ennemi que les troupes allemandes.

Sur le papier, Enfants de salauds ressemble aux 12 salopards de Robert Aldrich, film sorti l’année précédente. Là encore, il est question d’une mission commando composée de soldats qui ont tous connu des problèmes avec la justice. Néanmoins, la ressemblance ne va guère plus loin. Grand artisan de la série B, André De Toth n’est pas homme à perdre son temps. Il lui suffit d’une scène pour nous présenter l’ensemble des hommes qui composent le commando. Il n’est ici nullement question d’une formation préalable, ces repris de justice demeurent des soldats et, à ce titre, savent toujours se battre. D’ailleurs, ceux-ci intéressent peu le cinéaste. Ils participent bien entendu à la mission, mais en qualité de simples exécutants. Ils n’ont pas voix au chapitre, et se contentent d’assister, sans prendre parti, aux démêlées qui opposent le chevronné et têtu capitaine Leech (Nigel Davenport) à l’inexpérimenté et non moins têtu capitaine Douglas (Michael Caine). Des démêlées plutôt gentillettes dans la mesure où toute lutte d’ego est exclue. Leech râle un peu à l’idée d’avoir un novice dans les pattes, mais la promesse de Masters de lui donner 2000 livres s’il le ramène vivant à tôt fait de le calmer. Dès lors, la mission lui importe moins que le sort de Douglas. Quant à ce dernier, il souhaite simplement que la hiérarchie soit respectée. On lui a confié le commandement de cette mission, et il met un point d’honneur à la mener à son terme. Il ne nie pas l’expérience de Leech, mais il souhaite qu’il reste à sa place, sans discuter ses ordres. Ne connaissant rien au terrain, le capitaine Douglas détonne quelque peu par sa droiture et ses principes. Qu’on laisse des morts sans leur accorder de sépultures le choque. Et s’il ne peut rien pour les autochtones, il obtient gain de cause pour l’enterrement de soldats britanniques, surpris par une troupe allemande lors de la scène la plus spectaculaire du film, et à laquelle le commando ne prend pas part. Une scène symptomatique de la tonalité du film, qui se veut plus intimiste que spectaculaire. Certes, on pourrait arguer qu’en sa qualité de série B, Enfants de salauds ne bénéficiait pas d’un budget suffisamment conséquent pour orchestrer de solides affrontements entre les troupes britanniques et les troupes allemandes. Argument d’autant plus recevable qu’il est frappé du coin du bon sens. Cependant, en réalisateur chevronné, André De Toth sait tirer le maximum des petits moyens dont il dispose, comme en atteste cette brève scène de bataille, ou encore l’assaut du dépôt de carburant à la fin du film. En fait, cette grosse scène d’action placée en milieu de film revêt deux fonctions. Tout d’abord, elle accentue l’isolement du commando, qui se retrouve plus que jamais livré à lui-même. De plus, qu’il ne soit que le témoin impuissant du massacre ajoute à son statut marginal. Et puis cette scène intervient à la suite d’une longue séquence riche en suspense, lors de laquelle, sous l’impulsion du capitaine Douglas, les membres du commando acheminent péniblement leurs véhicules à l’aide d’un système de treuillage le long d’une pente escarpée. Une scène qui illustre toute la détermination du capitaine Douglas, et qui marque la dernière véritable confrontation entre le capitaine Leech et lui. Ce qui suit, l’arrivée inopinée d’une troupe allemande, nous rappelle que le désert ne l’est pas tant que ça, et que le danger peut surgir à tout moment, même des vestiges d’affrontements anciens.
André De Toth ne personnalise à aucun moment l’ennemi allemand, réduit à l’état de silhouette. Le point de vue reste constamment celui du commando et de leurs supérieurs. Non content de nous immerger pleinement dans leur mission, ce parti pris renforce le discours du film. Si nous ne basculons jamais du côté allemand, ce n’est pas sans raison. Pour les membres du commando, l’ennemi à redouter n’est pas tant l’adversaire allemand que leur propre état major. Un état major tout disposé à sacrifier ses hommes lorsque le besoin s’en fait sentir. Les capitaines Douglas, Leech et leurs hommes ne sont que des outils à la gloire de leurs supérieurs, voire de simples pions qu’ils disposent à leur guise sur le grand échiquier libyen. Le colonel Masters se sert de sa fonction de haut gradé pour s’adonner à sa passion, la reconstitution des grandes batailles de l’époque de Alexandre le Grand à taille réelle. Il joue aux petits soldats, en quelque sorte. Sous des dehors plutôt sympathiques et paternalistes avec ses hommes, se cache un être vil et sans scrupules. Il se justifie d’enrôler des criminels car la guerre elle-même est criminelle. Alors qu’en réalité, on perçoit davantage une volonté d’épargner les soldats disciplinés au détriment d’éléments plus difficiles, et dont la disparition n’affectera personne. Le général Blore ne vaut pas mieux que lui, tout disposé à s’attribuer les mérites de l’éventuelle réussite de la mission. Le titre français se révèle particulièrement judicieux, les salauds décrivant les membres de l’état major, plus soucieux de leur carrière que de leurs troupes. Ils se complaisent dans leur rôle de cuisiniers accommodant la chair à canon à la sauce qui leur convient.

Avec Enfants de salauds, André De Toth confirme son aisance à changer de registre sans se départir de son style brut et efficace. Un style qui se marie fort bien au propos percutant et jusqu’au-boutiste du film, tout en s’accordant quelques moments plus décalés, notamment toutes les scènes qui tournent autour de l’infirmière allemande, prisonnière du commando. A cette occasion, le réalisateur parvient à nous faire oublier l’aspect suicidaire de la mission, sans toutefois occulter l’absurdité et l’horreur de la guerre. Si la guerre peut parfois révéler le meilleur en l’homme, c’est le plus souvent le pire qu’elle met à jour du fait de la trop grande liberté qu’elle octroie aux belligérants. La liberté de jouer avec les vies humaines, de trahir, de mentir, et tout cela à bon compte. Enfants de salauds ou les enfants illégitimes d’un monde en perdition.

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