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Easy Money – Daniel Espinosa

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Snabba Cash. 2010

Origine : Suède 
Genre : Thriller / Polar / Guerre des gangs / Drame 
Réalisation : Daniel Espinosa 
Avec : Joel Kinnaman, Matias Padin Varela, Dragomir Mrsic, Lisa Henni…

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Stockholm la noire où la Blanche règne en maître…
JW est un étudiant en école de commerce ambitieux qui va tenter un coup : pour cela, il va devoir s’aventurer dans le milieu du crime organisé. Ce sera l’occasion de rencontres à la fois humaines et dangereuses.
Tout d’abord, Jorge, un dealer en cavale, poursuivi par la mafia yougoslave qui, avant de prendre le large, veut tenter un dernier gros coup : importer une grosse quantité de cocaïne.
Et puis Mrado, un tueur à gages, lui-même chargé de pister Jorge. Alliances, trahisons, meurtres et désillusions vont dès lors former un ballet de vie et de mort mettant en scène des êtres humains ayant mis les pieds dans un engrenage sans retour ni échappatoire possibles…

Easy Money (Snabba Cash en suédois), est sorti en janvier 2010 en Suède. Cette première adaptation du best-seller de Jens Lapidus (Stockholm noir, éditions Plon/Pocket), a réuni 610 000 spectateurs, devenant ainsi l’un des plus grand succès du box office suédois de ces dix dernières années aux côtés de Millenium (1 suédois sur 9 a donc vu le film).
Il est du coup prévu que la société de production Tre Vänner, spécialiste dans les téléfilms policiers, notamment la série des Wallander, adapte les deux autres volets de la trilogie écrite par Jens Lapidus.
Autant dire qu’au sein des pays nordiques, si à l’heure actuelle le roman noir connaît une renaissance et la consécration, il semble que le cinéma suive. Le plus souvent il est vrai, en adaptant des romans noirs ayant déjà eu leurs succès en kiosques.
Comme souvent aussi, puisque tout ce qui sort du saint royaume des États-Unis et qui fait recette dans des pays certainement jugés arriérés, ou tout du moins dont les domaines artistiques ne sont pas jugés aptes à être montrés à l’américain moyen, jugé lui aussi dans un même temps trop débile pour avoir accès à une culture différente de la sienne, la prestigieuse Warner vient de racheter les droits du film pour en pondre illico-presto un remake dont le tournage est d’ores et déjà prévu pour 2012 ! Remake qui ne manquera certainement pas d’atterrir par la force de la sacrosainte économie dans nos salles ; si ce n’est le cas, le remake sera vendu directement en dvd, et on dilapidera un argent qui aurait pu servir à le distribuer dans un territoire au protectionnisme confinant au pur racisme, à nous le vendre dans moult espaces publicitaires, sur le net, ou dans une presse écrite décidément bien docile.
Désolé pour ce dérapage qui me tenait d’autant plus à cœur que ce Easy Money, de fort bonne facture, traite du crime organisé et de ses conséquences, et la façon dont celui-ci sera donc distribué (ou non) tient elle aussi d’une ironique escroquerie. Peut-être moins noble, et en tout cas plus sournoise et hypocrite, que celle agencée par notre antihéros dans le film.

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La présence du crime organisé en Suède reste un phénomène relativement récent, ce qui explique bien entendu l’émergence de ce qu’on qualifiera de nouvelle vague noire. Il s’est installé au cours des années 1990 mais représente un défi de plus en plus important pour les citoyens et les autorités publiques. Le Département national d’investigation criminelle qualifie aujourd’hui la menace issue du crime organisé de “menace systémique” dans le sens où différents groupes imposent une perturbation systématique du travail des autorités publiques : les activités de menace du système sont le chantage, la corruption des fonctionnaires publics et la pression systématique sur les services publics, les services de police et les médias.
Il y a trois groupes criminels :
– Les “MC gangs” et leurs alliés
– Les “gangs-prison”
– Les groupes basés dans les quartiers et les groupes ou les réseaux à base ethnique.
Le but de leur action est de protéger leur propre groupe et de contraindre la police, les témoins et les plaignants à la passivité.
La criminalité est liée aux différentes formes d’activités illégales : la drogue mais aussi la contrebande d’alcool, de cigarettes et de véhicules volés. Toutes les sortes de drogues y sont fournies : le cannabis et les amphétamines mais aussi héroïne, ecstasy et médicaments classifiés comme drogues. Depuis les 10-15 dernières années, le marché est plus grand, les drogues sont plus facilement disponibles, la qualité est meilleure et les prix sont plus bas que jamais. Un autre changement s’est manifesté aussi par l’augmentation de l’utilisation de drogue dans de nouveaux secteurs sociaux, par exemple les salariés ou les “héroïnomanes modernes”, qui ont une apparence normale et qui se fournissent en héroïne pour leur usage personnel.
On observe une augmentation des groupes criminels étrangers. Les groupements issus d’Afrique de l’Ouest, par exemple, ont établi leur contrôle sur le marché de l’héroïne blanche à Stockholm, tandis que les criminels albanais contrôlent le marché de l’héroïne brune dans la partie occidentale de la Suède.

C’est ce contexte presque labyrinthique qui est admirablement traduit à l’écran par Daniél Espinosa, lequel s’applique à montrer d’importantes variations entre les différents groupes ou réseaux criminels en ce qui concerne leur degré d’organisation, leur stabilité dans le temps, leur cohésion interne, leurs activités, leurs modes de recrutement, leur base ethnique, leur hiérarchie interne, leurs normes, leur légitimité sociale et leurs relations avec le milieu politique.
Les contacts entre les criminels s’étendent à travers tout le territoire, mais ils se concentrent dans la Suède du sud et dans les grandes villes (Stockholm, Malmö, et Göteborg).
Un des groupes les plus importants, originaire des Balkans, partage certaines caractéristiques avec les groupes de type mafieux.
De fait, le Stockholm décrit dans Easy Money, devient, de part la diversité des ethnies qui y travaillent, ou y sévissent en gangs et réseaux, un no man’s land crépusculaire.
A l’instar de JW (excellemment campé par Joel Kinnaman), un jeune golden boy à l’allure propre, lequel s’apprête à racheter une banque au bord de la faillite pour la faire se redresser avec l’argent des gangs et de la drogue, puis ayant pour but à long terme de s’en servir comme moyen de blanchiment en plus que de prospection, Stockholm est le parfait exemple de la fausse ville propre. Un constat pessimiste qui démontre par une violence allant crescendo que l’argent qui coule à flot est à l’image d’un sang qui coule lui aussi à flot en coulisse. Il s’agit d’une ville faite d’apparence, la même que notre jeune aristocrate tentera de faire avaler à des fins de manipulation. Hélas pour lui, il aura beau se révéler un homme d’affaires expérimenté, le côté sale l’emportera.

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La limite et la force de Easy Money, demeurent dans une façon de scénariser une histoire faite de personnages et de destins croisés à l’heure actuelle très à la mode. D’un côté, la mise en place s’avère brouillonne et durant la première demi-heure, il sera difficile pour le spectateur de s’y retrouver ; de l’autre, on portera au crédit de Daniél Espinosa d’avoir progressivement su capter l’humanité de ses trois personnages principaux, sans pour autant glorifier, ou tout du moins romancer, leurs actes (on est tout de même loin d’une vision romantique à la Coppola et son Parrain).
Jorge, est un latino dealer en cavale redevable à JW de l’avoir sauvé par pur hasard d’une exécution commanditée, et de fait, alors qu’il dit lui-même qu’il n’est qu’un “fils de pute, et que comme tous les fils de putes du milieu, malgré sa dette, JW ne devrait pas lui faire confiance”, il s’humanise parce que pour la première fois de sa vie, on l’a défendu au lieu de lui faire un coup en traître. Quant à Mrado, le tueur à gage des Balkans, c’est autant un professionnel pur et dur avec ce que cela contient d’actes de violence, qu’un père d’une petite fille pour laquelle il est prêt à donner avant tout sa vie.
Finalement, après un début qui faisait craindre le pire, à savoir un film d’action creux autant qu’emberlificoté, le film se fluidifie peu à peu pour devenir aussi prenant qu’attachant. On pourra toutefois nourrir quelques réserves sur un certain moralisme réservé au jeune étudiant aux dents longues, qui, même s’il n’aura pas une fin aussi pathétique que d’autres, aura dans son périple pris conscience. Il est possible qu’avec un peu plus d’ambiguïté à cet égard, le film Easy Money s’en fut trouvé plus achevé ou plus réflexif. En l’état, c’est tout de même déjà pas mal !

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