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De battre mon coeur s’est arrêté – Jacques Audiard

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De battre mon coeur s’est arrêté. 2005.

Origine : France
Genre : Polar
Réalisation : Jacques Audiard
Avec : Romain Duris, Niels Arestrup, Jonathan Zaccai, Linh Dan Pham…

 

Tom Seyr (Romain Duris) officie en tant que un petit agent immobilier véreux, marchant sur les traces de son père (Niels Arestrup). Un jour, au hasard de ses pérégrinations, il croise l’ancien impresario de sa mère, qui fut une célèbre pianiste. Dès lors, lui qui avait cessé de jouer du piano, décide de s’y remettre et s’y jette corps et âme. Sa vie prend alors un nouveau sens.

La réalisation de De battre mon cœur s’est arrêté part d’une banale question d’un producteur adressée à Jacques Audiard. Ce dernier s’est vu demander quel remake il souhaiterait réaliser. Sans hésitation, il répond Mélodie pour un tueur de James Toback, film méconnu de la fin des années 70. Lui en garde un excellent souvenir, et c’est avec un enthousiasme non feint qu’il s’attèle à la tâche en compagnie de Tonino Banacquista, avec lequel il collabore pour la seconde fois après le scénario de Sur mes lèvres. Ils retravaillent de fond en comble le matériau d’origine pour finalement aboutir à un film très différent de son modèle bien qu’il en conserve l’un des points essentiels, le tiraillement du héros entre sa passion pour le piano et son milieu d’activité.

Le film s’ouvre sur le collègue de Tom qui évoque les relations père-fils, relations qui tendent à s’inverser au fil du temps. Loin d’être anodine, cette conversation annonce tout ce qui suit. De battre mon cœur s’est arrêté fait de la figure paternelle la pierre angulaire du récit. On en sait peu sur la mère de Tom, si ce n’est que c’était une grande pianiste et qu’elle a souffert de dépression. On peut en conclure qu’elle a été abandonnée par son mari et donc par son fils qui, suivant les traces de son père, en épouse le comportement. D’ailleurs, les deux hommes apparaissent très complices, et Tom ne rechigne jamais à lui venir en aide. Pourtant, les rapports que Tom entretient avec son père commencent à changer. Lorsque ce dernier lui annonce ses prochaines fiançailles, Tom ne crie pas de joie. Tel un père protégeant son enfant, il se comporte durement avec sa future belle-mère, comme s’il refusait au fond de lui que sa mère soit remplacée. A cela s’ajoute sa rencontre fortuite avec l’ancien impresario de sa mère dont la promesse d’une audition lui donne envie de reprendre des leçons de piano. C’était une passion qu’il avait lâché en suivant son père. Jouer du piano le rapproche de sa mère et son univers, et a contrario l’éloigne de l’univers paternel. Il commence enfin à faire ses propres choix, à grandir. Car le dernier film d’Audiard se veut aussi le récit d’un passage à l’âge adulte. Tom se comporte comme un sale gamin tout au long du film. Il ne tient pas en place, s’amuse à jouer les caïds, et il se laisse aller à de gros caprices lors de ses leçons de piano. Mais il s’énerve dans le vide, sa professeur de piano n’y entendant pratiquement rien à la langue française. Avec elle, il ne peut ni tricher, ni la baratiner. Il se retrouve seul face à l’instrument et face à ses propres démons. Complètement habité par son rôle, Romain Duris rend son personnage tour à tour antipathique, pathétique, et finalement presque sympathique au fur et à mesure qu’il prend de la bouteille. Grâce au piano, il s’ouvre davantage, parvient à avouer ses sentiments à la femme de son collègue et à assumer enfin l’héritage maternel.

Toutefois, la musique ne résout pas tout. Il ne suffit pas d’apprendre à jouer du piano pour chasser ses démons intérieurs. En bon polar qui se respecte, De battre mon cœur s’est arrêté fait passer son personnage principal par de nombreuses turpitudes avant de lui offrir un semblant de répit. Cela passe bien sûr par un soupçon de tragique. Une certaine fatalité qui fait que l’accomplissement de Tom doit finalement s’accompagner de la disparition définitive de la figure paternelle. Une fin logique dans un contexte de descente aux enfers, et qui prend aussi valeur d’ultime avertissement. Et le film de s’achever sur une note d’apaisement qui tranche à la fois avec l’atmosphère générale du film, et avec la profonde détresse qui émanait du dernier plan du film original. Face au choix cornélien qui s’est proposé à lui, Tom a eu l’occasion de céder une fois de plus à ses bas instincts. Sans doute que l’ancien Tom, plus violent et impulsif, serait allé au bout de son geste, mais plus maintenant. Tom sait quelle est sa vie et avec qui la partager. Il a appris à vivre au présent, et plus avec les fantômes de son passé.

Quoiqu’on en dise, le cinéma français parvient encore à nous réserver de bonnes surprises par la grâce de films réalisés avec sérieux, et mus d’une grande passion pour l’histoire contée. Jacques Audiard est un des réalisateurs les plus intéressants de ces quinze dernières années, dont la courte filmographie vaut déjà le détour (Regarde les hommes tomber, Un héros très discret). Ici, il filme à l’arraché, caméra à l’épaule, ce qui dans un premier temps peut rebuter. Mais très vite, il nous immerge dans le quotidien sordide de Tom, brillamment interprété par Romain Duris pour ne plus nous lâcher jusqu’à la note finale. Un bien beau film.

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