CinémaPolar

Compartiment tueurs – Costa-Gavras

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Compartiment tueurs. 1965.

Origine : France
Genre : Polar
Réalisateur : Costa-Gavras
Avec : Yves Montand, Simone Signoret, Pierre Mondy, Jacques Perrin, Catherine Allégret.

Qui a tué Georgette Thomas ? Et pour quel mobile ? Ce sont les deux questions auxquelles l’inspecteur Grazziani (Yves Montand) va devoir répondre. Et le temps presse car les principaux témoins, passagers du compartiment dans lequel la victime a été retrouvée étranglée, tombent comme des mouches. Toujours un temps d’avance sur la police, le meurtrier s’emploie méthodiquement à effacer les traces, au plus grand désarroi de la police.

Après plusieurs années passées à écumer les plateaux de tournages en qualité d’assistant-réalisateur (Un singe en hiver d’Henri Verneuil, Les Félins de René Clément), Costa-Gavras décide de s’émanciper en adaptant lui-même le polar de Sébastien Japrisot, Compartiment tueurs. Pour un premier film, il bénéficie d’une belle distribution, blindée jusqu’au moindre personnage secondaire de comédiens connus (parmi lesquels Bernadette Laffont en sœur de la victime, José Artur en journaliste, Marcel Bozzuffi en agent de police ou encore Daniel Gélin en vétérinaire) et dominée par la haute stature du couple Simone Signoret-Yves Montand, avec lequel Costa-Gavras s’était lié d’amitié à la faveur du tournage de Le Jour et l’heure de René Clément. Compartiment tueurs  permet donc de sacrés numéros d’acteurs, avec une mention spéciale à Pierre Mondy en commissaire persuadé d’avoir toujours raison alors qu’il a toujours un train de retard sur les événements et à Charles Denner en amant à l’amertume sarcastique, sans que l’intrigue ne soit pour autant laissée de côté.

Compartiment tueurs démarre comme un whodunit à la sauce Agatha Christie. Un compartiment, six passagers, une victime et donc cinq personnes qui apparaissent aux yeux de la police autant comme témoins que comme suspects potentiels. Dès le départ, Costa-Gavras nous offre en pâture un coupable idéal en la personne de René Cabourg (Michel Piccoli), un obscur fonctionnaire aux dents gâtées qui suinte de timidité et de frustration. Suant à grosses gouttes, plaquant continuellement sa mèche sur l’avant en un geste compulsif, il dévore des yeux l’accorte Georgette Thomas, cherchant à percer son intimité. Il profite même d’une proximité passagère pour lui caresser le bras, au plus grand mécontentement de la demoiselle. Une fois le train arrivé à destination et le meurtre révélé, Costa-Gavras insiste sur René Cabourg, dont le comportement infléchit l’impression initiale. Il nous apparaît alors comme un pauvre bougre à soliloquer sans cesse, désespérément seul au point de disparaître dans l’indifférence générale. Ce nouveau meurtre, d’une grande sécheresse, donne le ton d’une intrigue qui ne s’encombre pas de tendresse à l’égard de ses personnages. La solitude apparaît alors comme un dénominateur commun de bon nombre d’entre eux. Dans leur cas, même la famille n’est plus d’aucun réconfort, souvent trop éloignée et seulement capable de banalités et de sombres considérations en guise d’épitaphe. Les âmes en peine, les policiers ne connaissent que trop bien tant le commissariat en regorge. Ils s’en accommodent sans passion, voire avec un peu de brusquerie parfois. Il n’est ainsi pas rare qu’une déposition soit commencée par l’un et finie par un autre, au gré des nouvelles données dans l’enquête en cours. Le commissariat nous est dépeint comme une fourmilière où tout le monde s’agite beaucoup mais dans un flagrant manque de concertation. Cela tend à compliquer une enquête dont la bonne résolution, on s’en rend compte au fil du récit, fluctue constamment au gré du jugement personnel des uns et des autres. Ah, le drame de cet inspecteur, copieusement secoué par Grazziani, pour s’être rendu coupable d’avoir pris à la légère l’appel d’un témoin clé. En dépit de ses efforts, la police apparaît souvent à contre-temps, capable d’extraordinaires déploiements de troupes en guise de baroud d’honneur mais à l’issue dérisoire.

Un lourd sentiment de désenchantement parcourt le film. La société change, les consciences évoluent… mais pas forcément dans le bon sens. Face à une population globalement désabusée, la jeunesse nous est présentée dans toute sa diversité, encore capable de beaux sentiments (l’idylle qui se noue entre Daniel, le jeune resquilleur sans ressources, et la généreuse Benjamine), d’une surprenante solidarité (les blousons noirs qui se proposent spontanément d’aider la police), mais aussi d’un profond égoïsme (Eric, l’amant de circonstance de la comédienne Eliane Darrès). Le film  illustre une sorte de repli sur soi généralisé, certains s’enfermant dans la nostalgie d’un passé étincelant, d’autres en ne se concentrant que sur ses propres désirs au mépris de toute éthique. Le compartiment dans lequel tout commence file la métaphore de cette société où il n’y a plus réellement de contacts francs, où l’indifférence devient la norme… jusqu’au meurtre.

Loin de l’image du cinéaste politique qu’il se façonnera au fil de sa carrière, Costa-Gavras signe un petit bijou de polar, rythmé en diable et non dénué d’humour. Sa mise en scène est au diapason, nerveuse et percutante, faisant preuve d’une belle maîtrise pour un premier film. Film rare, Compartiment tueurs vient tout juste d’être restauré, ce qui augure, si ce n’est une ressortie d’envergure en salles, d’une future édition en dvd/blu-ray. Autrement dit, une belle occasion de le découvrir.

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