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Cabeza de Vaca – Nicolas Echevarria

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Cabeza de Vaca. 1991.

Origine : Mexique
Genre : Odyssée chamanique
Réalisation : Nicolas Echevarria
Avec : Juan Diego, Daniel Gimenez Cacho, Roberto Sosa, Carlos Castanon…

Depuis quelques années, on assiste à un net regain d’intérêt pour les films du patrimoine qui s’accompagne d’un minutieux travail de restauration des copies pour les ressortir dans d’excellentes conditions. Pour la plupart, il s’agit d’œuvres connues, voire reconnues. Il arrive néanmoins que quelques pépites injustement ignorées des distributeurs à l’époque de leur conception bénéficient des efforts acharnés d’une poignée de passionnés. C’est le cas de Cabeza de Vaca, film voué aux oubliettes pendant près de 20 ans et qui a été exhumé par les bons soins de ED distribution, d’abord via L’Etrange festival puis depuis le 22 décembre dernier via une sortie officielle dans de rares salles françaises. Je profite de l’occasion pour saluer le travail de cette société de distribution créée en 1995, et qui depuis lors n’a eu de cesse de faire découvrir au public des cinéastes atypiques en accompagnant leurs films d’abord dans les salles puis en DVD. On lui doit notamment la découverte de réalisateurs aussi différents que Bill Plympton (L’Impitoyable lune de miel), Guy Maddin (Careful) ou encore les frères Quay (L’Accordeur de tremblements de terre). Avec Cabeza de Vaca, ED distribution nous propose non seulement de nous confronter à une figure méconnue des nombreux explorateurs du continent américain, mais aussi de nous offrir un aperçu de la nouvelle génération du cinéma mexicain qui n’allait pas tarder à se révéler aux yeux du monde. A la photo –splendide–, on retrouve Guillermo Navarro, futur opérateur sur Une Nuit en enfer, Jackie Brown et tous les films de son compère Guillermo Del Toro, ce dernier étant ici crédité en tant que responsable des maquillages spéciaux. Un véritable vivier de talents.

1528. Le navire de Panfilo de Narvaez s’échoue au large des côtes de la Floride, laissant une poignée de survivants, dont le trésorier Alvar Nunez Cabeza de Vaca, regagner la terre ferme sur un radeau de fortune. Tenaillés par la faim et à bout de force, les rescapés s’enfoncent dans les terres avec l’espoir de trouver de la nourriture ou des secours. Mal leur en prend, ils ne trouveront que la mort au bout du chemin. Seuls Alvar et trois de ses compagnons en réchappent, faits prisonniers par leurs assaillants indiens.

Cabeza de Vaca se présente de prime abord comme le pendant cauchemardesque de la “découverte” de l’Amérique par Christophe Colomb. Alvar Nunez Cabeza de Vaca et ses compagnons n’ont rien des conquérants auxquels on aurait pu s’attendre. Aux fiers galions des conquistadors fendant l’écume, avides de conquêtes et d’or, se substituent de frêles radeaux construits de bric et de broc déversant sur les côtes de l’actuelle Floride son lot de naufragés harassés et affamés. A leurs corps défendant, Cabeza de Vaca et ses hommes donnent une bien piètre image de la toute puissante Espagne. Dépenaillés, décharnés, ils accostent totalement démunis en terre hostile, à la merci d’autochtones contre lesquels ils n’ont plus aucune force à opposer. Alors que nous sommes en pleine période de conquêtes, le rapport de force est ici inversé en faveur des Indiens. Cabeza de Vaca n’est plus en mesure d’imposer sa loi ni ses croyances à un peuple trop hâtivement méprisé. Au contraire, c’est lui qui finira par s’ouvrir aux us et coutumes des Indiens, qui de geôliers deviendront par la suite ces semblables. Le film tire toute sa singularité de son parcours atypique, collant au plus près de cet homme en proie au plus grand désespoir à force de brimades et d’incompréhension.

Pour se faire, Nicolas Echevarria opte pour une approche des plus radicales puisqu’il nous place au même niveau de connaissances que son personnage principal. A l’instar de Cabeza de Vaca, nous sommes amenés à côtoyer des tribus aux mœurs et aux langages qui nous échappent totalement, le réalisateur se gardant bien, par exemple, de sous-titrer leur dialecte. Pour peu qu’on soit un minimum réceptifs à ce cinéma contemplatif aux élans ethnologiques, ce parti pris osé prend peu à peu son sens au fur et à mesure du cheminement de Cabeza de Vaca. La fascination que les Indiens commencent à exercer sur lui se fait nôtre au point d’accepter sans ciller le virage mystique pris par le film. Toutefois, à l’inverse de l’étrangeté du cinéma d’un Alejandro Jodorowski (El Topo, La Montagne sacrée) auquel on pense parfois –notamment pour le chef de tribu nain et manchot–, Nicolas Echevarria filme les diverses incantations chamaniques sans la moindre emphase, de manière presque documentaire. Tout repose sur le jeu fiévreux de Juan Diego, totalement habité par son rôle. De fait, on ne s’interroge guère sur la véracité avérée ou non de ce qui nous est rapporté, captivés que nous sommes par la diversité des différentes tribus croisées et la beauté des images proposées. Cabeza de Vaca est un film qui donne à la fois à ressentir et à réfléchir, notamment au travers de la trajectoire du personnage principal qui, et ce n’est pas anodin, épouse en un sens celle de Jésus. A l’instar du Christ, il va être confronté à l’émergence de pouvoirs guérisseurs, lui permettant notamment de ressusciter les morts. Il connaîtra également l’errance dans le désert, en proie à de mauvaises pensées avant d’atteindre à la sagesse. Et comme Jésus, il devra composer avec la défiance de certains. Ces derniers, loin d’être n’importe qui, ne sont autres que ses compagnons d’infortune, retrouvés au hasard de ses pérégrinations. Ce sont donc des chrétiens comme lui, mais de cette frange bornée incapable de tolérer d’autres formes de croyances que la leur. Il y a là une forme d’ironie à les voir nier les miracles accomplis par Cabeza de Vaca alors que ceux-ci se rapprochent de ceux accomplis par le Christ qu’ils louent. Cela traduit toute l’intolérance et la suffisance des conquérants qui estiment leur religion supérieure à celles des indigènes sans n’avoir jamais chercher à les comprendre. Cabeza de Vaca aura quant à lui fait corps avec elles, se rapprochant des Indiens au point de ne faire plus qu’un avec eux. Il se dégage de ces moments de communion une douce harmonie nimbée d’un parfum de liberté, brève parenthèse d’un processus d’évangélisation en passe de diaboliser tout un peuple par ignorance.

Cabeza de Vaca est de ces films qui ne laissent pas indifférents, mettant en lumière les tristes ressorts de l’âme humaine à l’aune d’une foi mal digérée, prétexte aux pires atrocités. En outre, il se dote d’une forme élégante émaillée de scènes marquantes aux frontières de l’onirisme. Je pense à ces radeaux émergeant de la brume tels des vaisseaux fantômes, ou encore à ce religieux criblé de flèches, brandissant sa croix comme un bouclier illusoire. Tout à la fois film historique, voyage mystique et récit d’aventures, Cabeza de Vaca est surtout une sacrée découverte à ne pas rater.

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