CinémaHorreur

American Gothic – John Hough

americangothic

American Gothic. 1988

Origine : Royaume-Uni / Canada
Genre : Horreur
Réalisation : John Hough
Avec : Rod Steiger, Yvonne De Carlo, Sarah Torgov, Janet Wright…

American Gothic est certainement l’un des tableaux américains les plus connus. Peinte en 1930, l’œuvre de Grant Wood a atteint un rayonnement qui en fait désormais une icône à part entière de la culture américaine, et ce qu’elles qu’en soient les interprétations données. Satirique pour les uns, hommage aux fondateurs de l’Amérique pour les autres, cette toile représentant un couple de fermiers puritains devant leur demeure de style gothique charpentier a inspiré bon nombre de détournements. Parmi ceux-ci, le cinéma s’est plusieurs fois illustré, reprenant le plus souvent le fameux tableau sous forme de clins d’œil au détour d’un plan, d’une affiche ou d’un générique (on le retrouva par exemple récemment dans le générique de Desperate Housewives). Nettement plus rares furent les films à tenter de lui donner vie en inscrivant la peinture au sein d’une histoire développée autour de ses composantes (d’ailleurs il est à signaler la rareté générale du procédé, qui pourtant pourrait être fort porteur). Ironie du sort, le film American Gothic n’est pas américain mais anglo-canadien. Il est en outre réalisé par le vétéran britannique John Hough, estimable esthète ayant prouvé ses talents picturaux chez la Hammer ou encore en adaptant à l’écran La Maison des damnés de Richard Matheson. C’est dire si Hough, avec sa grande expérience, fut bien placé pour faire quelque chose d’intéressant avec la toile de Grant Wood. Optant davantage pour l’interprétation satirique du tableau, le réalisateur pousse la charge contre la rigueur puritaine jusqu’à faire des fermiers des psychopathes en puissance, pourfendeurs actifs de la pécheresse modernité.

Pa et Ma (Rod Steiger et Yvonne De Carlo), telle est la façon dont se font appeler ces deux petits vieux, vivent seuls sur une petite île déserte en compagnie de leurs “enfants” : Fanny, Woody et Teddy, trois quadragénaires ou quingagénaires persuadés d’être âgés d’une dizaine d’années. Vivant avec le respect puritain des écrits bibliques, restée bloquée aux années 1920, cette famille aurait de quoi amuser un groupe de jeunes touristes échoués ici par la faute d’un avion en panne. La blague est de courte durée, et très vite, les visiteurs sont agacés par le mode de vie imposés par ces bondieusards allumés. Cynthia (Sarah Torgov), récemment sortie d’un institut psychiatrique où elle avait été enfermée suite au décès accidentel de son bébé, montre en outre d’inquiétants signe de rechute dûs à la trop grande affection que lui porte la “petite” Fanny, qui l’invite cordialement à se joindre à elle pour jouer à la poupée. Tout ceci n’augure rien de bon, et c’est sans surprise que les jeunes des années 80 seront livrés en pâture à ceux des années 20.

Beaucoup plus proche de Massacre à la tronçonneuse que du déclin gaudriolesque des slashers, American Gothic peut se voir comme la version “Nouvelle-Angleterre” du film de Tobe Hooper. Un groupe de ruraux isolés s’en prend à un groupe de citadins égarés, mais cette fois l’heure n’est pas à l’hystérie sous un soleil de plomb, mais au contraire au calme dans une nature bucolique. Hough s’adapte au tableau de Grant Wood, et c’est fort logiquement qu’American Gothic mise sur une forme d’épouvante plus cérébrale que graphique. Très posée, voire même paisible, l’atmosphère du film évite tout empressement, et même les futures victimes viennent s’intégrer dans ce décor faussement idyllique. Ces jeunes n’ont clairement pas grand chose à voir avec leurs équivalents du cinéma d’horreur de l’époque : ils ne passent pas leur temps à faire les cons, à faire l’amour ou à se rouler des joints. Ils ne cèdent pas non plus à la panique générale dès qu’un des leurs passe l’arme à gauche. Leurs réactions apparaissent même comme étrangement sereines face à l’adversité. Certes, la vision qu’en donne Hough n’est guère crédible (ainsi oublie-t-il un de ses personnages près de l’avion en rade pendant que les autres mangent et dorment chez les fermiers), mais en évitant d’avoir recours aux jeunes décérébrés habituels, il se montre bien plus original et en profite pour accroître la singularité de la famille puritaine et principalement de ses enfants quinquagénaires.

Il eut été en effet très facile de singer Jason Voorhees et de justifier les meurtres par le comportement débauché des victimes. Hough préfère que ses puritains assassinent sans raison apparente, déléguant même cette tâche aux “enfants”, qui s’empressent de tuer calmement, en pervertissant leurs jeux de prédilection (balançoire, corde à sauter…). Pertinent, ce procédé aboutit à faire du massacre quelque chose de presque anodin, de naturel dans un milieu à la fois paisible et inquiétant, superbement retranscrit à l’écran par un John Hough sachant décidément magnifier ses décors. Du tableau American Gothic subsiste donc cette agressive humilité puritaine, fleurant l’intolérance à plein nez (comment ne pas trouver menaçant ce fermier avec sa fourche ?). Le couple Pa et Ma, tout deux incarnés par d’ex gloires hollywoodiennes grimées comme leurs équivalents picturaux, dominent le film sans même intervenir autrement qu’oralement. Leur présence idéologique est incontestablement prédominante. Il fallait au moins Rod Steiger et Yvonne De Carlo pour être capable de diffuser un charisme à ce point envahissant tout en restant d’une sobriété exemplaire.

L’un des principaux défauts d’American Gothic reste cependant sa prévisibilité. Le sort réservé à Cynthia devient très tôt évident, et l’insistance avec laquelle l’amène John Hough n’en apparaît que comme plus superflue. Le réalisateur cherche cependant à se relancer dans le final, au prix d’un rebondissement un peu artificiel duquel on se serait volontiers passé. Doté d’un humour pince sans rire et d’une conception brillamment inventive, American Gothic n’en demeure pas moins un film sous-estimé, réussissant à extraire l’essence d’un tableau devenu icône pour en tirer un film qui ne semble jamais oublier l’œuvre du peintre. John Hough réussit à unir Massacre à la Tronçonneuse et American Gothic malgré leurs différences de style et surtout de nature. Une vraie prouesse.

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