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Alice Cooper : Welcome to my Nightmare – David Winters

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Alice Cooper : Welcome to my nightmare. 1975

Origine : Etats-Unis 
Genre : Concert fantastique 
Réalisation : David Winters 
Avec : Alice Cooper, Sheryl Cooper, Dick Wagner, Steve Hunter…

A grand renfort de provocations scéniques pour appuyer ses excellentes compositions, le groupe Alice Cooper est parvenu à devenir incontournable au début des années 70. Ses albums se vendent fort bien et ses concerts battent des records d’audience. Et pourtant, tout n’est pas au beau fixe dans le groupe. Le chanteur, Vincent Furnier alias Alice Cooper, s’oppose au reste de la troupe sur le sujet des prestations publiques. Alice souhaite s’y livrer à corps perdu, allant toujours plus loin dans la mise en scène, qui à l’époque implique serpents, guillotines, monstres divers et autres joyeusetés sorties du cinéma d’horreur. Les autres préféreraient pour leur part mettre le holà à tout cela, histoire de se reconcentrer sur leur musique, qui il est vrai avait qualitativement baissé d’un cran entre les albums Billion Dollar Babies et Muscle of love. La solution trouvée est que chacun prenne du recul, travaille individuellement à ce qu’il souhaite, avant de revenir lorsque le moment sera opportun. Cette séparation provisoire deviendra en fait définitive, Alice Cooper restant Alice Cooper et les autres membres du groupe se rassemblant brièvement sous le nom Billion Dollar Babies avant de se séparer pour de bon, retournant dans l’anonymat. Destinée assez cruelle pour eux, qui participèrent à l’écriture de chansons qui encore aujourd’hui restent les plus connues d’Alice Cooper. Ainsi, trop rares sont ceux qui savent aujourd’hui qu’avant d’avoir désigné le seul chanteur, Alice Cooper fut à l’origine le nom de tout un groupe. Pour sa part, à l’entame de sa carrière solo, Alice avait beau verser de plus en plus dans l’alcool, il n’en avait pas moins de la suite dans ses idées cinématographiques. Même pour son addiction, d’ailleurs, puisque son club de beuverie (que fréquentèrent des gens comme Keith Moon, Harry Nilsson ou John Lennon) s’intitula les “Hollywood Vampires”. Au niveau artistique, poussant toujours plus loin ses références au cinéma d’horreur, il accoucha avec l’aide du guitariste Dick Wagner et du producteur Bob Ezrin (venus de chez Lou Reed, tout comme Steve Hunter, second guitariste) d’un album conceptuel dans lequel Alice, comme le titre Welcome to my nightmare l’indique, nous invite dans son cauchemar comme un forain invite les passants à pénétrer dans son train fantôme pour y assister à tout un tas de manifestations dignes de la fête d’Halloween. Pour l’occasion, Alice débaucha Vincent Price, narrateur le temps d’une chanson consacrée à l’éloge des qualités mortelles des veuves noires, ces araignées venimeuses qui pullulent dans l’Arizona où vit Alice. Perfectionniste, le chanteur invita également le dessinateur Drew Struzan à concevoir la couverture de l’album, comme l’artiste l’avait déjà fait pour Black Sabbath, Iron Butterfly ou les Beach Boys avant de passer définitivement au cinéma (on lui doit les affiches de Blade Runner, des Star Wars, de nombreuses réalisations ou productions signées Spielberg dont la trilogie Indiana Jones…). Le succès de l’album Welcome to my nightmare acheva de faire d’Alice Cooper un artiste phare de la nouvelle scène Hard Rock.

Logiquement, Welcome to my nightmare ne tarda pas à dépasser le simple cadre d’un album rock pour investir les écrans de télévision via un téléfilm, Alice Cooper: The Nightmare, dans lequel Vincent Price fit plus qu’apporter sa voix puisqu’il tint le rôle de “l’esprit du cauchemar”, personnage à l’origine des situations cauchemardesques rencontrées par Steven, incarné par Alice Cooper. Quant à la tournée qui accompagna l’album, elle aussi se fit remarquer, et explique en grande partie la dissolution du groupe Alice Cooper. Témoignage de cette époque, Alice Cooper : Welcome to my nightmare, concert filmé au Wembley Arena (célèbre salle à côté du stade,) réduit considérablement le rôle des musiciens, qui restent la majeure partie du temps dans l’ombre, cachés par l’impressionnante logistique nécessaire au véritable show d’Alice. Pas mauvais bougre, le chanteur trouve quand même le moyen d’incorporer brièvement ses guitaristes au spectacle, leur offrant un bref instant de solo dans lequel ils se combattent à coup de guitare. Il leur réserve aussi à eux et au batteur la conclusion du concert, dans lequel il nous les présente un à un, un peu à la manière de ces génériques de fin associant l’image et le nom des acteurs. Cela succède directement à l’indispensable révérence d’Alice, de ses danseurs (dont sa femme Sheryl) et de ses comédiens, qui venaient d’achever l’histoire vaguement narrée par le “gros” du concert. Un tel final peut sembler inopportun dans un concert rock, où la coutume est de finir sur la chanson la plus populaire et la plus entraînante des musiciens… C’est pourtant la finalité logique d’un show autant théâtral que musical, sinon plus. En se lançant en solo, Alice Cooper a, comme le craignaient ses anciens camarades, atteint un point de non-retour, celui de la mise en scène totale de sa musique, qui a fini par transformer son outrance satirique et provocatrice (on se souvient de Dead Babies et de son interprétation scénique polémique sur le sujet des violences familiales) en cinéma pur et simple. En d’autre termes, Alice en a fini avec le hard rock destiné à scandaliser les bonnes familles pour se faire l’apôtre de la dérision basée sur une vision du cinéma d’horreur que l’on retrouve dans l’œuvre du réalisateur William Castle. Le réalisateur de La Nuit de tous les mystères et du Désosseur de cadavres se faisait un malin plaisir à exploiter le cinéma d’horreur et ses caractéristiques sous un jour bon enfant dans une optique de communion avec le public, et Alice Cooper fait de même avec la musique rock. Les deux ont en commun d’être en avance sur leur temps et de savoir se démarquer habilement du premier degré souvent de mise dans leurs domaines respectifs. Ainsi William Castle s’est rendu compte que le fait de frissonner devant un film n’était en rien contraire à l’amusement et au rire, et Alice Cooper a réalisé que les outrances irrévérencieuses du hard rock n’étaient pas forcément synonymes de rébellion destructrice (comme semblent encore le croire bon nombre d’adolescents, qui s’identifient totalement et sans recul à leurs idoles, apparaissant souvent bien ridicules) et qu’elles pouvaient servir tout simplement à s’amuser, rapprochant le chanteur de ses spectateurs sans pour autant le transformer en gourou dont les préceptes seront suivis à la lettre. En cela, l’approche d’Alice Cooper se place en opposition de l’emphase utilisé par bien des mouvements, et renvoie par exemple dos à dos les deux mouvements emphatiques et rivaux que sont le flower power et le punk, qui prônèrent des états d’esprits différents mais pourtant égaux dans leur prétention à prôner des états d’esprits. Ce raisonnement met en évidence la filiation qu’Alice entretient avec son premier producteur, le très ironique Frank Zappa, et lui a permis d’influencer de nombreux autres artistes aux styles pourtant diversifiés. Ainsi, dans la lignée de Cooper, un chanteur tel qu’Ozzy Osbourne, associé au satanisme gothique de Black Sabbath, versa lui aussi dans l’auto-dérision. Plus surprenant, Bob Dylan, qui a toujours refusé d’incarner une génération, loua lui aussi les mérites de Cooper. Des groupes comme Kiss ou même Queen reprirent à peu de chose près la même démarche, les premiers en marchant ouvertement sur les plates-bandes de Cooper (embauchant même Bob Ezrin dès 1976) et les seconds en jouant avec dérision sur l’aspect pompeux de leurs chansons et du nom de leur groupe…

De ce point de vue théâtral, Alice Cooper -personnage concept en soi puisque très très loin de l’individu Vincent Furnier, qui joue au golf, va à l’église et s’est toujours démarqué ouvertement de son personnage- a toujours eu un temps d’avance sur ses concurrents, mettant en avant un style hérité de William Castle non seulement sur le fond, mais aussi sur la forme, ce qui renforce un peu plus la dérision d’Alice vis à vis de ses spectacles. Ainsi, jouer à fond la carte de l’exubérance ne lui pose aucun problème, et surtout pas celui de constater que tous les artefacts horrifiques utilisés sur scène ne valent guère mieux que les effets spéciaux “en direct” auxquels Castle avait recours pour la projection de ses films et qui étaient des prolongements de ce qui se passait sur l’écran. Welcome to my nightmare, le concert, se base en très grande partie sur des danseurs et comédiens costumés en monstres, du même genre qui ceux qui se promenaient dans les travées des cinémas diffusant Le Désosseur de cadavres et autres chefs d’œuvre signés William Castle, sauf qu’ici ils ne se basent pas sur un film mais sur un album rock qu’ils ont la charge de faire vivre sur scène, remplaçant ainsi le film. L’album sert en quelque sorte de scénario. Le concert Welcome to my nightmare est presque une pièce de théâtre, et se rapproche en cela des célèbres soirées Rocky Horror Picture Show, où la pièce cède sa place aux interprétations… Comme pour les retombées du film de Jim Sherman, le spectacle de Cooper sera d’ailleurs réapproprié par des fans qui s’amuseront à le rejouer régulièrement. Bien sûr, dans ce genre de concept, le scénario sert surtout à aligner des situations dignes d’être retranscrites sur scène, et on ne saurait regarder Welcome to my nightmare comme une histoire linéaire. L’ordre des chansons utilisées ne correspond même pas à celui de l’album, une d’entre elles est jouée en plusieurs fois (“Years ago”) et quelques titres incontournables datant d’avant l’album sont incorporés au concert sans que celui-ci en pâtisse. On y retrouve donc les célèbres “No More Mr. Nice Guy”, “I’m Eighteen”, “Billion Dollar Babies” et “School’s Out” sans lesquels un concert d’Alice Cooper ne serait pas complet. Les autres morceaux évoquent les visions cauchemardesques -et donc désunies- d’Alice, ou plutôt de Steven, son personnage de tueur schizophrène se prenant pour un enfant. Balladé de vision en vision, Steven est poursuivi par un cyclope de deux mètres cinquante, par des araignées géantes sorties de leurs toiles, par une femme qu’il a assassinée et violée, par des ghoules, il fait du cabaret au milieu de squelettes etc… le tout au milieu d’un décor évoquant à la fois une chambre d’enfant et un cimetière, et généreusement arrosé de fumigènes colorés par les projecteurs. Une très grande partie de ceci est “live”, mais le chanteur a également recours à un écran qui tombe parfois sur la scène, et qui diffuse des images pré-enregistrées, comme pour l’ouverture du concert où Steven démarre son cauchemar, happé dans un cercueil par une chorégraphie de morts-vivants. Les effets spéciaux sont rudimentaires, ce qui colle très bien avec le refus de se prendre au sérieux et avec le surjeu d’Alice et des danseurs. Tout de même, notons que l’un de ces effets spéciaux est très réussi, à savoir le fameux grand écran qui à une occasion est traversé par les danseurs et par Alice, faisant ainsi déborder les images enregistrées jusque sur la scène, un peu comme si nous avions affaire à de la 3D. Pas étonnant que cet effet soit le plus réussi, puisqu’il symbolise à lui seul toute la démarche du concert. On peut toutefois regretter que le grand Vincent Price n’ait pas repris son rôle du téléfilm, et qu’il se soit contenté d’une présence vocale, le temps d’une chanson, la même que sur l’album. Et surtout, on peut regretter les ajouts en post-production du réalisateur David Winters, probablement recruté pour son expérience en matière de chorégraphie (quelques films d’Elvis Presley…), d’acteur (West Side Story…), de producteur et bien entendu de réalisateur (une version de Dr. Jekyll & Mr. Hyde avec Kirk Douglas, Donald Pleasence, Michael Redgrave et Susan George… quoique son film le plus célèbre, Les Frénétiques, sera réalisé en 1982). Un CV long comme le bras, mais qui ne l’a pas empêché de plomber le final et les révérences en les truffant de “paroles de fan” pleines de louanges récoltées devant la salle de spectacle. Un procédé digne d’un documentaire promotionnel, et qui nous fait sortir de l’ambiance avant qu’Alice et ses camarades n’aient quitté la scène. Quelques effets de montage et autres fugaces inserts (des plans d’araignées) viennent s’insérer un peu plus harmonieusement dans le concert, sans toutefois tirer vers le haut une mise en scène conventionnelle, et qui est bien comme elle est.

Reste maintenant à aborder l’aspect musical de ce concert / spectacle. Ayant choisi de faire des chansons de Welcome to my nightmare des supports à ses excès scéniques, Cooper s’est définitivement éloigné du style musical qui fut le sien avant de se lancer en solo. Rares seront alors les chansons à rivaliser avec les hymnes que sont “I’m Eighteen” ou “School’s out”. Par la suite et pendant une petite dizaine d’années, Alice s’éloignera même du rock pur et dur et versera dans le jazz, le disco, la new wave, sans toutefois se départir de sa dérision. Si ses textes et son humour resteront au top (pensons à la chanson / slasher “Tag You’re it” de l’album Zipper catches skin, aux parodies du mythe de Faust sur Alice Cooper goes to Hell ou encore à l’album From the inside qui sera transposé en comic horrifique), il faut bien admettre que musicalement, il faudra attendre Raise your fist and yell en 1987 pour que la musique reprenne enfin ses droits et ne serve plus “d’arrière-plan”. Cette progressive dégénérescence trouve son point de départ dans Welcome to my nightmare, dont certaines chansons sont loin d’être accrocheuses à l’écoute de l’album. Quelques unes surnagent : la chanson éponyme à l’album, “The Black Widow” et surtout la triplette “Years ago”, “Steven” et “The Awakening”, le reste partant dans des délires qui rendent le disque inférieur à ceux qui l’ont précédé (mais supérieur à ceux qui suivront). Mais les titres qui ne marchent pas tellement à la simple écoute prennent tout leur sens en concert, Cooper leur donnant tout le relief dont ils étaient dépourvus. Ainsi, “Devil’s food”, “Cold Ethyl” et “Escape” disposent enfin de toute leur portée humoristique, tandis que “Only Women Bleed” (qui pour ma part me laisse indifférent, bien qu’elle soit généralement fort appréciée en temps que single) sort de sa crispation féministe pour se fondre dans le tout. Évidemment, le concert aura tout de même quelques points forts, dont l’interprétation de “Steven” est certainement le point d’orgue, mais la musique ne peut qu’être rehaussée par les envolées horrifico-comiques théâtrales. Au point de faire de l’ombre à certaines chansons phares, dont “No more Mr. Nice Guy”, jouée sans grands artifices au sein d’un medley.

Tout n’est pas parfait dans cette version de Welcome to my nightmare. Quelques défauts gâchent un peu le plaisir d’assister à ce concert, et bien entendu beaucoup pourront trouver cet étalage ridicule et indigne de l’homme qui co-signa l’album Killer (considéré par beaucoup comme le meilleur de la carrière de Cooper). Malgré tout, un tel spectacle est révolutionnaire non pas par ses qualités intrinsèques mais par l’approche inédite choisie par Cooper, qui à l’instar des films de William Castle parvient à transcender tous ses défauts en les assumant totalement et en les utilisant comme autant de marques d’auto-dérision. Avec Welcome to my nightmare, Alice Cooper s’est probablement tiré une balle dans le pied : il aurait été plus facile de continuer à enchaîner les hits jusqu’à être considéré comme un “monument” du rock (ou jusqu’à se planter et connaître une carrière éphémère), comme l’auraient voulu les autres membres du groupe. Cooper a pris le pari de voir plus modeste et de favoriser ce qui lui plaisait le plus, se mettant à dos une partie du public mais gagnant de l’autre côté une base de fans acceptant d’entrer dans son petit jeu. Et pour tous ceux là, Welcome to my nightmare et surtout les concerts qui vont avec constituent un des sommets d’une carrière en forme de montagnes russes.

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