CinémaScience-Fiction

Abyss – James Cameron

The Abyss. 1989.

Origine : États-Unis
Genre : Action/Science-fiction
Réalisation : James Cameron
Avec : Ed Harris, Mary Elizabeth Mastrantonio, Michael Biehn, Leo Burmester…

Les documentaires sur la nature sous-marine, ce n’est pas réservé qu’aux insomniaques, aux retraités ou aux baba cools qui s’ignorent. Des réalisateurs peuvent en profiter pour avoir des idées, ou pour faire ressurgir le vieux souvenir d’une histoire écrite quand ils avaient 17 ans. C’est ce qui est arrivé à James Cameron en regardant un reportage de National Geographic. Il ressortit donc son vieux projet des cartons et le remodela sans ménagement pour en faire ce qui est devenu Abyss. C’est à dire à l’époque un véritable défi mégalo, y compris pour les standards hollywoodiens. Comme pour Terminator 2, pour Titanic et pour Avatar, Cameron voit bien plus loin que ce qui est faisable pour le commun des réalisateurs, fussent-ils dotés d’un gros budget. Pour son périple aquatique, il décide de tourner dans les installations d’une centrale nucléaire jamais achevée, agrandissant l’enceinte de confinement et utilisant un puits de turbine. C’était la solution de facilité pour contrôler les coûts de production et garantir un minimum de sécurité à son équipe. Ce fut malgré tout un casse-tête logistique, qui parasita constamment le tournage, provoquant la colère de certains acteurs (Mary Elizabeth Mastrantonio en tête), obligés d’attendre des plombes que Cameron soit prêt à tourner, et devant accomplir des prouesses physiques selon les exigences du méticuleux réalisateur. Alors quand celui-ci, responsable du « final cut » décida de supprimer une demi-heure du film, certains firent la gueule. Y compris le studio, voyant partir une scène spectaculaire de vague géante. Il fallut attendre la fin de l’année 1992 pour qu’une version longue soit mise en route, bénéficiant au passage de nouveaux effets spéciaux revus et corrigés par les gars d’ILM, forts de l’expérience du numérique acquise sur Terminator 2. Toutefois, cette version longue, sur laquelle se base cette critique, concerne davantage l’aspect géopolitique d’Abyss, pas forcément le plus primordial.

Le sous-marin nucléaire américain USS Montana est coulé en mer des Caraïbes dans le sillage d’un vaisseau inconnu. La navy doit envoyer quelqu’un sur place pour retrouver d’éventuels survivants et surtout pour empêcher que les grands méchants rouges soviétiques n’y mettent leur nez. Pris par le temps, l’armée envoie donc trois hommes menés par le lieutenant Coffey (Michael Biehn) à bord du Deep Core, une plateforme pétrolière sous-marine d’avant-garde établie non loin de l’épave du sous-marin. Ils sont accompagnés de Lindsey Brigman (Mary Elizabeth Mastrantonio), constructrice du Deep Core et épouse en instance de divorce de Virgil « Bud » Brigman (Ed Harris), qui commande ce même Deep Core. Comme prévu, les trois militaires partent explorer l’USS Montana. Ils n’y retrouvent pas de survivant, mais ils en profitent pour ramener avec eux une tête nucléaire, à l’insu des époux Brigman. Pendant ce temps là, les évènements se déchaînent à la surface : le ton monte dangereusement entre les États-Unis et l’URSS, tandis qu’une grosse tempête sévit en mer des Caraïbes, provoquant l’effondrement de la grue qui rattachait le Deep Core au bateau mère. Ce qui provoque de nombreuses avaries à bord du rafiot, dont la moindre n’est pas l’impossibilité totale de communiquer avec l’extérieur. En plus de ces difficultés techniques, il va aussi falloir gérer les humeurs de Coffey, atteint du syndrome des hautes pressions. La présence de plus en plus évidente d’extra-terrestres, même pacifiques, va définitivement le faire basculer dans la folie paranoïaque. Persuadé que les rouges se cachent derrière tout ça, il est décidé à faire usage de sa bombe.

James Cameron aime faire de longs films. Parce qu’il aime que ses films ne reposent pas sur une seule intrigue. Dans l’absolu, c’est une très bonne façon de s’assurer d’une certaine richesse et de justifier de telles longueurs. Un des autres avantages est que même si une de ces composantes s’avère ratée, on pourra toujours essayer de se focaliser sur une autre. Mais encore faut-il que le réalisateur ne les rate pas toutes. Déjà dans Aliens, Cameron pêchait au niveau de la relation entre Ripley, Hicks et Newt, qui ouvrait la porte déverrouillée par les liens entre Sarah Connor et Kyle Reese dans Terminator. Rien de trop grave, même si cette tentative d’unification familiale restait malheureuse dans la forme. Ce qui restait allait au-delà des beaux restes. Pour Abyss, Cameron va hélas plus loin en accordant une place démesurée à la relation entre Bud et Lindsey, pour lesquels ces aventures maritimes sont une occasion rêvée d’en finir avec leur antagonisme et de renouer avec la pureté de leur amour. Le vieux dada hollywoodien des liens ressoudés dans l’adversité, avec toutes les étapes imposées qui en découlent. Les petites piques, l’énervement réciproque, puis l’entraide, la compassion, le sacrifice (un chacun ! Et des plus théâtraux, encore !) et les déclarations tout feu tout flamme qui sauvent le couple… et la planète. Cette histoire d’amour semble avoir été conçue par un adolescent au romantisme exacerbé, tare que Cameron réaffichera avec encore plus de vigueur pour Titanic. Abyss est le point de rupture dans une carrière encore jeune mais déjà remarquable et qui jusqu’ici avait fait passé l’ex employé de Roger Corman pour un maître de l’action, un dur à cuire au sens de la mise en scène aiguisé. Désormais, il tombe le masque et dévoile son envahissant penchant de midinette. Ses personnages sont les premiers à souffrir de cette orientation d’un simplisme maladif, et ils apparaissent eux-mêmes comme des ados attardés, sentimentalement puérils, auxquels font écho les autres membres d’équipage tout juste bons à rire quand leur chef fait une blague, à pleurer quand il est malheureux et à s’extasier lorsqu’il se comporte en héros. Un véritable troupeau, inconséquent et inutile, indigne d’être comparé aux marines énervés d’Aliens. Quoique pour être tout à fait juste, la comparaison serait plus appropriée pour les deux soldats entourant le personnage de Michael Biehn. Ce qui nous amène à la seconde facette d’Abyss : le thriller militaire.

Pauvre Michael Biehn. Pour sa dernière apparition dans un film de Cameron, il hérite d’un rôle de méchant caricatural, dans la lignée de l’ignoble Burke d’Aliens et de l’infâme Hockley de Titanic. Non seulement Coffey est dès le départ insupportable de prétention, mais en plus il se révèle être lâche… C’est un faible, atteint du syndrome des hautes pressions, chose qu’il se garde bien de crier sur les toits (ce serait une grave entorse au manichéisme ambiant, ça, un méchant admettant ses défauts). Il met en péril la vie de l’équipage et du monde entier, reflétant ainsi de façon symétrique la noblesse des époux Brigman. Avec le même résultat : loin de faire naître des émotions, négatives dans son cas, il est tout bonnement exaspérant et ressemble moins à un individu en lequel on croit qu’à un poncif sur pattes. Ce défaut, il ne le doit pas qu’au problème qu’a le réalisateur avec ses personnages : il découle aussi du « message » d’un film qui -et c’est une première chez Cameron- cherche à faire passer un constat. La violence, c’est pas bien, vive la paix. Trois heures de film pour en arriver là. Pas étonnant que Coffey, le militaire, soit alors si fumeux. Sorte de Buck Turgidson des années 80, il personnifie les va-t-en guerre allumés… Mais là où Kubrick faisait de Dr. Folamour une satire, Cameron n’affiche aucun recul sur son personnage et sur le conflit annoncé qu’il représente, une vision pour le moins simpliste de la guerre froide, d’autant moins pertinente que Gorbatchev régnait encore au Kremlin et que le bloc soviétique était en pleine dislocation pacifique. Ne se contentant pas de faire reposer son propos sur un personnage, il faut encore que le réalisateur l’étaye par la présence d’extra-terrestres qui pendant longtemps ne jouent aucun autre rôle que de confirmer la polarisation des gentils et du méchant (les premiers sont béas, le second est hystérique). Puis vient la fin. Cette fin dans laquelle Abyss atteint effectivement les tréfonds de son titre. Attention, je m’en vais la résumer… En gros, les extra-terrestres veulent détruire l’humanité (du moins les États-Unis) pour éviter qu’elle ne se détruise elle-même, chose qu’elle est capable de faire comme le prouvent les images d’archives qu’ils montrent à Brigman. Mais ils changent d’avis parce que celui-ci a envoyé un message disant « je t’aime » à sa femme et que donc il y a de l’espoir… Oui. Bon. Voilà des aliens un peu légers dans leur raisonnement. Pas plus que pour celle de Coffey, on ne saurait distinguer leur simplisme de celui de l’histoire d’amour entre les Brigman. Cameron mélange allégrement la paix dans le monde et l’amour entre deux personnes dans une vision franchement naïve, pour ne pas dire carrément gaga. Steven Spielberg lui-même, au cœur des années 80, n’aurait pas osé tant de mièvrerie, ou du moins aurait essayé de la concevoir avec davantage de sophistication. Non, sans faire la fine bouche, plus je le vois, et plus je trouve Abyss atterrant…

Bien qu’il soit difficile de prendre véritablement plaisir à un tel étalage de guimauve (honnêtement, je me demande même si Titanic n’est pas moins primaire), il reste malgré tout quelques points vaguement positifs que je me dois de signaler. Ils concernent ce qui n’est pas directement en lien avec les personnages… Il s’agit d’abord de cette parenté avec le film catastrophe, trop tôt délaissée (dès que la grue s’est écroulée, en fait) pour attirer l’attention. Et puis surtout, il s’agit de l’aspect métaphysique des bas fonds, que Cameron situe quelque part entre 2001 l’odyssée de l’espace et Rencontres du troisième type. Mal connus, sombres et hostiles, les abysses exercent la même fascination que l’espace, et voir finalement Brigman y dériver comme Bowman l’avait fait dans le vide pour se confronter au mystère n’est certainement pas anodin, ni sans titiller l’imagination. Voilà pour la parenté avec 2001. D’un autre côté, la proximité d’un contact imminent avec des extra-terrestres est digne du film de Spielberg. Sauf que dans un cas comme dans l’autre, Cameron est bien trop occupé à faire avancer ses inepties sentimentalo-moralistes pour laisser une marge de manœuvre suffisante à ces thématiques qui ne demandaient qu’à être développées. Le peu de scènes mettant en avant ce style de science-fiction (la chute de Brigman principalement) est écrasé par les ambitions pachydermiques d’un réalisateur ayant troqué son savoir faire pour cette mièvrerie conventionnelle qu’est Abyss. Compte tenu de l’ampleur du tournage, du potentiel de Cameron, des promesses du sujet, on peut légitimement penser que le présent film est certainement l’un des plus grands gâchis du cinéma américain, qui s’exprime ici par un de ses côtés les moins reluisants. Cameron a très certainement essayé de prouver qu’il était capable de faire autre chose que de l’action mastoque, et c’est un raté de grande envergure.

3 réflexions sur “Abyss – James Cameron

  • Yannick

    Extrêmement surpris par cette critique.
    Je suis en train de le mater en ce moment-même, pour la 659ème fois, et le plaisir est toujours intact.
    Néanmoins, votre approche est très intéressante car nouvelle pour moi.
    En effet, je n’ai pas vu ce métrage par le prisme de la mièvrerie ou du message pacifique, mais plutôt comme un accomplissement technique, une ambiance, certes très premier degré, mais qui m’a toujours pris aux tripes. Ce film est sorti quand j’avais 5 ans, et j’ai du le voir vers mes 10 ans.
    Je me suis totalement identifié aux personnages, au couple Brigman, au lieutenant Coffey, incroyable Michael Biehn pour moi, et à tous les personnages secondaires, qui ont tous leurs personnalités et leur rôle, contrairement à ce que vous pouvez avancer.
    Rien que l’une des scènes du début, où ils bougent la station Deepcore en chantant tous ensemble sur de la vieille country, amène un passé, un vécu commun à ces personages qui fait immédiatement mouche !
    Tous leurs surnoms, leurs caractéristiques, tout cela habille le récit de façon si naturelle, vraiment j’ai toujours été conquis.
    Et puis rien que les anecdotes de tournage valent le détour à elles seules. Certains plans sont des miracles purs, comme quand le sous-marin est noyé sous des trombes d’eau au début, les gens ne se rendent pas compte que pour quelques secondes sur pellicule ils ont construit un décor qu’ils ont plongé de biais dans l’eau pour arriver à cet effet saisissant de salle qui se remplit à toute vitesse.
    Honnêtement, je n’ai plus vu chose pareille jusqu’à Waterworld, Titanic, et plus récemment, à la limite, Inception.
    Alors je ne me targue pas d’avoir vu tous les films de la planète, mais je trouve qu’Abyss est un chef-d’œuvre intemporel, que même l’histoire de réconciliation (courue d’avance, mais avec encore une fois cette crédibilité de la part des acteurs qu’on ne peut qu’y croire), mièvre par moment, ne peut venir égratigner. Même un chouia.
    En tout cas j’ai adoré parcourir votre critique, je la trouve de grande qualité même si nous ne sommes pas d’accord.
    Yannick.

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  • Yannick, je me joins à Simon pour te remercier de ton retour constructif. C’est assez rare d’avoir une vision ouverte à la critique au sujet d’un film de chevet !
    L’aspect que tu mentionnes, disons l’émerveillement / l’inquiétude que veut faire naître Cameron face aux mystères des abysses, je le partageais aussi lors de mes premières visions du film. En cela le film se pose bien en contrepartie “maritime” de 2001, L’Odyssée de l’espace. C’est pour ça que je le revoyais régulièrement. Mais disons que là où j’ai l’impression de n’avoir jamais fait le tour de 2001, une fois passé l’étape de l’ambiance, j’ai fini par avoir l’impression que le film de Cameron était plus limité, car moins ouvert aux interprétations et davantage porté sur le sentiment et le sous-texte politique. Le choix d’avoir articulé le scénario autour du couple de héros qui se réunit joue beaucoup, et compte tenu des efforts accomplis pour la mise en scène, je trouve ça assez frustrant, car ça se fait au détriment du côté un peu “métaphysique”, c’est à dire du mystère des profondeurs.
    Après, évidemment, la perception du film dépend aussi de ce que chacun cherche à y trouver ou à y ressentir.

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